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Page:Du Camp - Paris, tome 1.djvu/337

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lui fit voir qu’il était encore en France. Nul Parisien n’ignore que la mi-carême est la fête consacrée des blanchisseuses et des porteurs d’eau qui, sous prétexte de s’amuser, se fatiguent ce jour-là comme si leur vie n’était pas une fatigue incessante.

Il est encore sur la Seine une autre industrie sédentaire ; elle est représentée par un bateau qui, seul de son espèce, est resté debout comme une protestation vivante et surannée contre tous les essais de nos temps inventifs. C’est le bateau broyeur qui est amarré prés du quai de l’Horloge ; ses quatre roues, lentement agitées par le courant tranquille, tournent pacifiquement et font mouvoir des meules qui écrasent des couleurs. Malgré les nuances criardes dont on a bariolé ses plats bords et sa cahute, malgré les volubilis et les capucines qui grimpent sur le pignon de son toit, il a un air triste, vieillot et délabré. Il est demeuré fidèle aux us et coutumes d’autrefois ; en présence des machines à vapeur qui bruissent de tous côtés et battent la rivière où il clapote avec une si paisible mansuétude, il ressemble à un coucou qui regarderait passer une locomotive[1].

En tant que fleuve, la Seine appartient au Domaine, qui en retire un profit assez médiocre, car les locations faites sur les berges et sur la rivière à Paris ne rapportent guère annuellement plus de 30 000 francs. Les prix sont uniformes : trois francs par mètre carré pour les établissements où il existe une habitation, un franc pour les bateaux à lessive, 25 centimes pour les bains froids. Les exploitations inutiles et tapageuses ne sont même pas surchargées, et le café-concert qui a pris possession du terre-plein du pont Neuf ne paye que

  1. Depuis que ce volume est sous presse, le bateau broyeur a été supprimé (1867). En réalité, il ne broyait plus rien depuis longtemps et servait simplement de boutique à un marchand de couleurs.