Page:Du Camp - Paris, tome 1.djvu/59

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ment près du tribunal civil de la Seine une demande en séparation de corps et de biens. Malgré tout le talent de son avocat, elle perdit son procès ; mais l’opinion du monde était pour elle, et jamais elle ne consentit à revoir celui qui l’avait abusée sur sa situation et l’avait entraînée dans une honte qu’elle ne soupçonnait pas.

Je me souviens d’avoir été conduit, lorsque j’étais enfant, chez un vieillard qui habitait un assez médiocre château dans l’Orléanais. Je vis un homme grand, d’excellentes façons, poudré avec un soin qui ressemblait bien à de la coquetterie, vêtu d’un pantalon à pieds et d’une veste en molleton blanc, aimable causeur, ne regardant guère les gens en face, se disant fort désintéressé des choses de ce bas monde et accusant dans toute sa manière d’être les habitudes d’une société disparue. Il était très-savant, parlait sept ou huit langues, s’occupait de chimie à ses moments perdus et faisait beaucoup de bien autour de lui. Je me rappelle qu’il me montra un gnomon nouvellement établi devant sa maison, et que, par esprit de douce raillerie, il me pria de lui traduire les quatre mots latins qui entouraient le cadran demi-circulaire ; c’était l’inscription de l’horloge d’Urrugne : Vulnerant omnes, ultima necat. Il m’expliqua la légende en la commentant avec une tristesse et un charme que je n’ai pas oubliés. Les vieillards du pays l’aimaient et, à cause de sa bienfaisance, l’avaient surnommé le Saint ; les jeunes gens s’en éloignaient, inscriraient souvent des mots injurieux pour lui sur les murs de sa propriété et l’appelaient l’espion. Je ne l’ai jamais revu, et depuis j’ai appris ce qu’il avait été. C’était le comte de…, ancien chef du cabinet noir sous la Restauration.

Le gouvernement de Juillet recueillit l’héritage que lui avaient légué les Bourbons ; il continua de servir aux anciens agents secrets des postes le traitement qu’ils recevaient pendant la durée de leurs fonctions, et dans