Page:Du Camp - Paris, tome 2.djvu/110

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fonce tout simplement dans la Seine. Si les vins ne sont pas falsifiés à l’Entrepôt, ce n’est pas cependant une raison pour qu’ils en sortent tels qu’ils y sont entrés. On n’y ajoute pas d’eau, car les pièces payant d’après la jauge, les négociants se gardent bien de donner dans une telle duperie ; mais on fait le vin, c’est-à-dire qu’on mêle ensemble les produits de différents crus, de façon à obtenir un seul type, — c’est le mot consacré.

Cette opération se fait dans de vastes cuves ou dans des foudres gigantesques ; on procède avec méthode, sans mystère, aux yeux de tout le monde : c’est un usage reçu et accepté par le commerce. Quand on veut obtenir de bon vin de Bordeaux ordinaire, on prend deux pièces de vin de Blaye, vin rouge, sain, mais plat, deux pièces de ces petits vins blancs qu’on appelle vins d’entre deux mers, qui sont récoltés aux environs du bec d’Ambez, et une pièce de vin de Roussillon. On verse ces différents vins dans la cuve, on les agite fortement de façon à activer le mariage, puis on laisse reposer le liquide, que ne tarde pas à atteindre une légère fermentation ; quand cette dernière a produit tout son effet, on met le vin en pièce et le tour est joué. Les vins de Mâcon s’obtiennent avec un mélange proportionné de vins de Beaujolais, de Tavel et de Bergerac. Cette opération, qui n’est peut-être pas d’une régularité à l’abri de tout reproche, s’appelle techniquement le soutirage.

Autrefois, dans les temps naïfs dont fut témoin notre enfance, on donnait de la couleur aux vins trop affaiblis avec des baies d’hièble ou de sureau[1], avec des mûres, avec du bois de Campêche ; aujourd’hui, on a renoncé

  1. Les baies de sureau ont même tenu quelque place dans l’histoire par la légende peu miraculeuse que raconte Grégoire de Tours : « En ce temps nous vîmes l’arbre que nous appelons sureau porter des raisins, sans aucune accointance avec la vigne ; et les fleurs de cet arbre, qui, comme on sait, produisent une graine noire, donnèrent une graine propre à la vendange. »