Page:Du Camp - Paris, tome 2.djvu/178

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Le portugais Goes apporta le tabac à Lisbonne ; il en donna quelque provision à Jean Nicot, ambassadeur de France, qui l’introduisit dans notre pays. Le nom scientifique de nicotina tabacum consacre ce souvenir. Catherine de Médicis adopta la plante nouvelle, qui, passant pour guérir tous les maux imaginables, devint l’herbe à la reine, la catherinaire, l’herbe Médicée, l’herbe sainte. La mode s’en empara, l’usage s’étendit peu à peu et finit par entrer dans les mœurs. Ce ne fut pas sans protestation de la part de quelques souverains. Amurat IV faisait piler les priseurs dans un mortier ; le shah de Perse Abbas, plus doux que le sultan, se contentait de leur faire couper le nez ; Innocent VIII les vouait aux peines éternelles, et Jacques Ier d’Angleterre écrivait contre eux des livres pleins de sages sentences[1]. Rien n’y fit : le tabac devait vaincre ses adversaires, triompher des obstacles et devenir une sorte d’aliment baroque, d’une utilité fort discutable, mais correspondant à des besoins impérieux, et que la tyrannie de l’habitude rend aujourd’hui indispensable à une grande partie de la population.

Jadis le commerce du tabac était sévèrement circonscrit : les apothicaires seuls avaient droit d’en vendre, mais seulement sur une ordonnance motivée du médecin. Actuellement, loin de vouloir restreindre la consommation de l’herbe de Nicot, l’État s’est emparé des opérations qui doivent en rendre l’usage plus agréable et plus sain ; les débits surveillés par l’autorité pullulent dans nos villes ; le tabac est absorbé sous toutes les formes possibles, on s’ingénie à en trouver de nouvelles et à satisfaire la passion de certains gourmets qui apprécient un bon cigare comme d’autres savent

  1. Actuellement les Arabes Wahasis, prétendant revenir à la pure morale de Mahomet, considèrent l’action de fumer comme un péché que Dieu ne pardonne jamais.