Page:Du Camp - Paris, tome 2.djvu/226

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

risque d’être empoisonné et de passer de vie à trépas ; mais on peut affirmer aussi qu’une livre d’amandes renferme assez d’acide prussique pour foudroyer un colosse. C’est là une démonstration, par l’absurde, de l’innocuité du tabac que nous consommons. Tout autre chose est d’avaler un corps pur, chimiquement isolé, ou de l’absorber mêlé à des matières étrangères qui lui enlèvent toute propriété malfaisante. Le tabac fabriqué n’est plus ce qu’il est à l’état de nature. 300 kilogrammes de tabac destinés au scaferlati, au râpé, aux cigares communs arrivant des magasins à la manufacture du Gros-Caillou, contiennent 12 kilogr. 25 grammes de nicotine ; lorsqu’ils en sortent, ils n’en ont plus que 5 kilogr. 25 grammes. La manufacture du quai d’Orsay, par les lavages, la fermentation, l’évaporation des tabacs, par les réactions de toute sorte qu’elle leur impose, détruit chaque année 94 290 kilogrammes de nicotine, c’est-à-dire de quoi tuer instantanément la population entière de la France. La nicotine, dont on n’a pu débarrasser le tabac et qui reste forcément dans les produits livrés au commerce, entre-t-elle dans l’économie animale ? Pour une si petite quantité qu’il est superflu d’en parler. Les fumeurs la brûlent, les priseurs la mouchent, les autres la crachent et personne n’en meurt.

À en croire un membre de l’Académie de médecine qui a écrit sur ce sujet un fort curieux opuscule, l’aliénation mentale a fait en France des progrès directement en rapport avec ceux de la consommation du tabac. Dans une table dressée avec soin, on peut voir la progression : en 1858, la régie gagne 30 millions, 10 000 aliénés ; — en 1842, 80 millions, 15 000 aliénés ; — en 1852, 120 millions, 22 000 aliénés ; — en 1862, 180 millions, 44 000 aliénés. Un tel calcul, présenté avec habileté, n’est que spécieux. De ces chiffres, dont