Page:Du Camp - Paris, tome 2.djvu/32

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la charge de trésorier des grains pour le compte de Sa Majesté.

Le procédé était aussi coupable qu’élémentaire. Grâce aux capitaux dont il disposait, Malisset accaparait les grains sur les marchés de France, puis il les expédiait à travers la Normandie vers les petits ports étagés le long de la côte qui forme aujourd’hui la partie ouest du département de la Manche, pour être transportés de là sur des bateaux dans les iles de Jersey et de Guernesey, où l’association avait ses principaux magasins. Lorsque, grâce à ces manœuvres, la disette se faisait sentir en France (et nous avons dit que la disette fut en quelque sorte l’état normal du dix-huitième siècle), on rapportait les blés sur nos marchés, où on les revendait à des prix léonins. Le setier de blé, payé dix francs en 1767 par la compagnie Malisset, n’était livré par elle l’année suivante qu’au prix de trente et trente-cinq francs. On voit quels immenses, quels honteux bénéfices sortaient de ces opérations. Il n’était pas prudent de regarder de trop près dans ces affaires impures. Un homme de bien, M. Leprévôt de Beaumont, ancien secrétaire des assemblées du clergé, s’étant procuré les actes constitutifs de la société Malisset et se disposant à en saisir le parlement de Normandie, fut enlevé et disparut tout à coup. On ne le retrouva que vingt-deux ans après, le 14 juillet 1789, à la Bastille.

Les premiers personnages de la cour, des princes du sang, des ducs et pairs, étaient secrètement les associés de Malisset. Dans son rapide passage au ministère, Turgot dut renoncer à lutter contre cette puissance, d’autant plus forte qu’elle était occulte. On sent qu’il soupçonne plutôt qu’il ne sait, et qu’il veut aux yeux des sujets dégager la personne du souverain, car l’article 3 de l’arrêt du 13 septembre 1774 spécifie que le roi veut à l’avenir qu’il ne soit fait aucun achat de grains ou de