Page:Du Camp - Paris, tome 2.djvu/86

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temps rapproché, une question sociale à laquelle il ne serait pas inutile de réfléchir dès à présent. Autrefois, l’ouvrier qui mangeait quotidiennement de la viande était une exception ; aujourd’hui, c’est le contraire qui a lieu. Il faut s’en applaudir, car l’homme abondamment nourri est apte à une somme considérable de travail.

À l’époque où l’on construisait le chemin de fer de Rouen au Havre, qui, on se le rappelle, avait été concédé à une compagnie de Londres, on mit côte à côte et l’on fit travailler ensemble des ouvriers anglais et des ouvriers français. Ces derniers, malgré leurs efforts, malgré l’amour propre qui les talonnait, n’arrivaient qu’à grand-peine à faire la moitié de la besogne que leurs compagnons achevaient facilement. Les encouragements, les menaces échouaient ; il y avait là une sorte d’impuissance physique qu’il fallait reconnaître et subir. Un médecin consulté sur ce fait s’enquit de la nourriture respective des ouvriers. Les Français dînaient avec de la soupe, un plat de légumes, du fromage, beaucoup de pain et de l’eau ; les Anglais buvaient de la bière et mangeaient de la viande. Le problème était résolu. On mit nos compatriotes au régime de leurs rivaux ; quinze jours après ils les avaient égalés.

C’est là un fait heureux, et l’alimentation plus substantielle donne aujourd’hui plus de force à notre population ; mais la propriété est excessivement divisée en France, les vastes pâturages sont rares où l’on peut entretenir et nourrir de nombreux troupeaux ; les biens des communes sont incultes ou peu s’en faut, et il est fort probable que, dans un assez bref délai, la France ne produira plus la viande nécessaire à sa consommation. Dans ce cas-là nous serions, sous ce rapport, dans la complète dépendance de l’étranger. Il y a là un péril qu’il est bon de signaler, c’est aux économistes et aux