Page:Du Camp - Paris, tome 3.djvu/12

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sinistres, ils se sentent guettés par les yeux toujours ouverts de la police et traqués par des limiers dont ils ont pu apprécier le flair incomparable. Cette vie de ruse et de lutte a des charmes, dit-on ; il faut le croire, puisque tant d’hommes l’ont librement choisie ; mais cela est bon quand on est jeune, et plus d’un voleur se sentant vieillir, dégoûté, harassé de cette course sans repos de cerf aux abois, est venu à la préfecture de police dire : « C’est moi, me voilà ; je suis si las que je me rends. » Ce n’est pas seulement leur vie morale qui est odieuse ; leur existence matérielle est parfois tellement problématique, tellement entravée, qu’elle devient nulle. Il en est parmi eux qui, pendant des années, ont dormi à la belle étoile, sous les ponts, dans les bâtisses inachevées, dans les fours à plâtre, dans les carrières de la banlieue, et qui ne savent pas ce que c’est que le pain quotidien. « Es-tu bien ici ? disait un chef de service à une petite fille de douze ans mise provisoirement au Dépôt et dont les parents avaient été arrêtés pour vol. — Oh oui ! monsieur, répondit l’enfant ; on y mange tous les jours. »

Il est impossible de fixer, même approximativement, le nombre des gens qui à Paris se livrent au vol. Quoique l’on connaisse d’une façon presque certaine les repris de justice, les vagabonds, les hommes de mauvaise vie, les habitués des postes de police, on ne peut rien dire de précis à cet égard, car, surtout dans une ville aussi peuplée que la nôtre, l’occasion, la circonstance fortuite, jouent un rôle déterminant. Pour bien des personnes dont la moralité n’a jamais été mise en doute, le vol est un acte violent par lequel on s’empare du bien d’autrui. La définition est vraie, mais fort incomplète, et si l’on arrêtait tous ceux qui ont réellement volé, les prisons du département de la Seine ne suffiraient pas à les contenir.