Page:Du Camp - Paris, tome 3.djvu/294

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la Roquette, bordée d’humbles masures fermées, où, pendant le jour, s’agitent les industries funéraires, marbriers, marchands de couronnes en immortelles, s’enfonce dans la nuit que combat à peine la clarté des réverbères. À droite, la rue monte et meurt au pied de la colline où verdoie la haute futaie du Père-Lachaise. C’était pendant l’été ; les constellations cheminant dans le ciel pur semblaient, de leurs grands yeux d’or, regarder la laide besogne qu’on faisait sur la place.

Toutes les maisons étaient éteintes ; à peine çà et là quelques lumières errantes apparaissaient aux fenêtres des cabarets, où des curieux privilégiés avaient trouvé, à prix d’argent, un bon endroit pour bien voir. La foule, singulièrement grossie, remuait dans l’ombre. Elle est ignoble, cette foule ; il n’y a pas d’autre mot pour la qualifier. Des hommes, des enfants se couchent contre le rebord des trottoirs et tâchent de dormir une heure ou deux en attendant que le moment soit venu ; d’autres ayant ramassé quelque menu bois font chauffer du café et du vin, chantent, s’interpellent et échangent des plaisanteries dont la bêtise seule égale l’obscénité ; à quelques cris de femme mêlés à des rires, on peut facilement imaginer ce qui se passe dans certains groupes où les curieux sont plus pressés. De quoi se compose cette tourbe que Paris jette vers la place de la Roquette pendant la nuit qui précède les exécutions ? De gens du quartier alléchés par le spectacle et qui viennent là, comme ils le disent eux-mêmes, en voisins ; de rôdeurs de tout genre, vagabonds, filous et mendiants qui, ne sachant où trouver un asile, viennent écouler là les heures d’une nuit qu’ils auraient sans cela probablement passées sous un pont, aux fours à plâtre des carrières d’Amérique ou dans le violon d’un poste de police[1]. Les

  1. Il est à remarquer que pendant les nuits d’exécution et d’émeute les arrestations de vagabonds sont absolument nulles.