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Page:Du Camp - Paris, tome 3.djvu/372

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tait encore dans leur âme un sentiment humain. L’une de ces femmes, une étrangère, qui n’est ni plus belle ni moins bête que beaucoup d’autres, mais qui a eu cette chance, comme disent les mauvais plaisants, de tirer un king à la loterie, est bien et dûment mariée. Son luxe a souvent étonné Paris ; elle a le goût des chevaux et de fort beaux attelages. Elle voulut avoir le meilleur cocher connu et fit faire des offres à une célébrité des rênes et du fouet. Le cocher imposa des conditions très-dures, qui furent toutes acceptées ; puis, faisant allusion au mari de la dame, il ajouta : — « Et je ne conduirai jamais monsieur ! » — Cette dernière clause ne fut point rejetée, et le mari sut la subir. Ajoutons que, malgré les avantages considérables accordés au cocher, il ne resta point dans la maison ; il la quitta en disant : « Un tel service me déconsidère. » On peut rire de la susceptibilité de ce brave homme ; j’avoue naïvement qu’elle me touche et que j’y applaudis. Elles ont quelquefois à supporter des avanies plus violentes encore, publiques, et qui ressemblent à une exécution. J’ai lu dans un rapport de police le récit d’un fait qui n’est pas sans moralité et mérite de n’être point passé sous silence. Le jour de l’inauguration des courses de Vincennes, une fille, fort célèbre à Paris, seule dans une voiture conduite à la Daumont, s’engagea dans le faubourg Saint-Antoine. C’était un dimanche ; la population ouvrière, debout sur les trottoirs, regardait le défilé. À la vue de cette femme d’une élégance provocante et outrée, on murmura, on se réunit autour de la voiture, qui bientôt fut forcée de s’arrêter. Les quolibets et même les projectiles commençaient à pleuvoir. Un gamin se jeta au milieu du rassemblement et s’écria : « Laissez passer les chiffonnières de l’avenir ! » La foule s’écarta en huant la fille, qui reprit sa route.