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NUMÉRO 3


La question.


11 mars 1651. — Je suis allé au Châtelet voir donner la question à un malfaiteur qui refusait de confesser ses méfaits : on commença par lui lier les poignets d’une forte corde, qu’on passa dans un anneau de fer scellé dans le mur, à quatre pieds à peu près de haut ; puis on lia ses pieds d’une autre corde passée dans un anneau pris dans le pavé, à environ une toise plus loin où ils pouvaient atteindre en s’allongeant le plus possible. Ainsi suspendu, mais sur un plan incliné, on passa un chevalet de bois sous le câble qui liait ses pieds, et qui le tendit au point de disloquer misérablement toutes les articulations du patient, dont le corps s’allongea d’une façon extraordinaire. On en pouvait juger d’autant mieux qu’il n’avait sur lui, pour tout vêtement, qu’un caleçon de toile. On l’interrogea alors sur le vol dont il était accusé (le lieutenant criminel était présent, ainsi qu’un greffier qui tenait la plume), et, comme il ne voulut rien avouer, on mit sous le câble un second chevalet pour rendre la torture et l’extension plus douloureuses. Comme cette agonie ne réussissait pas à lui arracher des aveux, le bourreau lui fit entrer dans la bouche le bout d’une corne telle que celle dont on se sert pour faire prendre par force des remèdes aux chevaux, et lui versa, tant dans le gosier que sur le corps, la quantité de deux seaux d’eau, ce qui le fit enfler si prodigieusement, qu’il n’y eut personne qui n’eût peur à la fois et pitié de lui. Mais il persista à nier tout ce dont on l’accusait. On le détacha ensuite et on le porta devant un bon feu pour le faire revenir, car la douleur l’avait fait évanouir et il semblait mort. Que devint-il ? Je n’en sais rien ; mais le monsieur qui l’accusait de l’avoir volé soutint toujours son dire sans varier, et la pâleur et l’air inquiet de ce malheureux, avant qu’on le mit à la torture, dénotaient bien quelque culpabilité. C’était aussi l’avis du lieutenant-criminel, qui nous dit, à première vue, que ce jeune homme, il était brun, maigre et sec, saurait surmonter la torture. Le résultat était qu’on ne pouvait pas le pendre ; mais en pareil cas, quand il y a de fortes présomptions, on les envoie aux galères, qui ne valent guère mieux que la mort. Après celui-là, devait en venir un autre ; mais je ne me sentis pas la force d’assister plus longtemps à ce cruel spectacle. Il m’avait retracé vivement les douleurs intolérables qu’avait dû éprouver notre très-saint Sauveur quand, étant sur la croix, son corps portait de tout son poids sur les clous qui l’y attachaient.

(Extraits d’Evelyn : Supplément au voyage de Lister à Paris, p. 270-271.)