Page:Du Camp - Paris, tome 5.djvu/360

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’habitations. Jusqu’à présent, c’est le marchand de vin qui domine ; mais dans les terres en friche le cabaret fait bien souvent œuvre de pionnier. C’est un spectacle des plus intéressants ; on surprend pour ainsi dire la vie en formation, et l’on voit ce que peut la nature quand l’homme intelligent vient à son aide. Là où s’arrête l’irrigation, là commence la stérilité. Involontairement je me rappelais les pays d’Égypte et de Nubie que la mort dessèche partout où le Nil n’a pas porté son limon bienfaisant.

À voir cette transformation prodigieuse, on pourrait croire que les paysans, fort entendus ordinairement à tout ce qui touche leurs intérêts, ont accepté comme un bienfait sans pareil cet engrais qu’on apporte sur leurs terres mêmes et qu’on leur donne gratuitement ; on se tromperait. Ils ont vivement regimbé dans le principe ; ils ont crié à l’injustice, à la persécution, à l’empoisonnement, à l’oppression des campagnes par l’égoïsme et la tyrannie de Paris. On les a laissés se démener et on les a convaincus par l’exemple, en achetant la plus mauvaise portion de terrain du pays, en l’irriguant et en cultivant sous leurs yeux des légumes comme jamais la plaine de Gennevilliers n’avait imaginé qu’il pût en exister. Quand ils reconnurent que leurs cailloux devenaient promptement des jardins potagers, ils regardèrent attentivement, se grattèrent l’oreille et se dirent qu’après tout on n’en mourrait pas pour essayer de cette méthode nouvelle. Ils demandèrent des eaux d’égout ; on leur en fournit tant qu’ils en voulurent, et la richesse succéda rapidement à la stérilité. On croirait du moins qu’après une expérience personnelle si concluante ils éprouvent quelque gratitude pour ceux qui leur ont mis cette fortune entre les mains et qu’ils apprécient le cadeau qu’on leur fait. J’en doute. Je causais avec un paysan, et je lui exprimais l’émotion très-sincère que je