Page:Du Camp - Paris, tome 6.djvu/115

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion



doivent inaugurer son deuil ; chez les gens de la bourgeoisie et de la classe ouvrière, la veuve invite toujours, tenant à faire acte de présence au moment où elle perd celui dont elle a porté le nom et à affirmer ainsi que le lien qui l’unissait à lui était public et légitime. Affaire d’usage qui n’a pas grande importance, mais qui dénonce cependant des divergences profondes entre les diverses castes dont se compose notre société.

Jadis c’était plus simple : on faisait le « cry des corps ». À toute heure de jour ou de nuit « les crieurs jurés » s’en allaient par les rues, agitant leur clochette :

Réveillez-vous, gens qui dormez,
Priez Dieu pour les trépassés !


Ils glapissaient le nom du mort, le lieu du décès, l’heure des funérailles. Vêtus d’une dalmatique blanche semée de larmes noires, ornée de têtes de squelette posés sur des ossements entre-croisés, ils épouvantaient les enfants, et, si l’on en croit Saint-Amant, faisaient hurler les chiens. Leur costume, à force de vouloir être lugubre, fut trouvé ridicule, et on le remplaça par la longue robe noire des avocats. Lorsqu’ils suivaient le convoi funèbre d’une personne de qualité, ils portaient sur la poitrine cet écusson de carton peint représentant les armoiries du défunt que l’on applique aujourd’hui sur les faces latérales du corbillard. Leur nombre n’était pas considérable : ils furent douze au début, dans le treizième siècle, vingt-quatre sous Louis XIV ; on en compte trente au moment de la Révolution. Ils ne criaient pas que les corps : ils criaient le vin à vendre, les enfants égarés, les chiens perdus ; ils criaient « les choses estranges », dit la grande ordonnance de 1415. Petit métier, mais bon métier : cinq sous parisis par cri ; en ce temps-là c’était presque une somme. Cependant ils avaient d’autres ressources plus amples et plus certai-