Page:Du Camp - Paris, tome 6.djvu/134

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la tombe Morin, le squelette d’albâtre[1], qu’il attribuait faussement à Germain Pilon, l’ancien prêchoir, où pendant la Ligue il se fit de si belles harangues, la croix des Bureaux, la croix Glatine, la statue du Christ, que l’on nommait le Dieu de la Cité, et la tour de Notre-Dame des Bois, où chaque soir on allumait une veilleuse qui servait de fanal à ce champ des morts. On y faisait le commerce ; dans les galeries, les marchandes de modes et de lingerie vendaient leurs chiffons ; contre les piliers des arcades, sous les greniers qui pliaient au poids des ossements, les écrivains publics avaient installé leurs tables et fournissaient de la littérature épistolaire à prix fixe. En effet, les MM. de Villiers, qui visitèrent les charniers en janvier 1657, disent : « Si c’est du haut stile, la lettre vaut 10, 12 ou 20 sols ; si c’est du bas stile, elle n’est que de 5 ou 6 sols. » La foule y circulait sans cesse ; c’était un lieu de promenade, une sorte de contrefaçon des fameuses galeries du Palais. La nuit, les filles vagues le fréquentaient, comme les larves de l’amour vénal[2]. Tous les Parisiens s’étaient fourré une singulière idée dans la tête : ils étaient persuadés, sur la foi d’une légende ridicule, que la terre du cimetière des Innocents avait la propriété de dévorer les corps en vingt-quatre heures. C’était une croyance enracinée contre laquelle rien ne pouvait prévaloir. Les MM. de Villiers rapportent cette tradition, et ils ajoutent naïvement : « mais nous n’en avons pas veu l’effet[3]. »

  1. Actuellement au Louvre, dans le musée des sculptures de la renaissance.
  2. Voyez le manuscrit attribué à Sauval. Bibl. nat., manuscrits fr. : 13 635.
  3. Evelyn avait déjà signalé le fait en 1644 : « De là, je suis allé faire un tour au cimetière des Innocents, où je passai pas mal de temps à ouïr les récits qu’on me fit de la rapidité avec laquelle ce terrain dévore les corps qu’on y enterre ; vingt-quatre heures suffisent, me disait-on. » Voyage de Lister à Paris, supplément, p. 257 Un siècle avant on semble