Page:Du Camp - Paris, tome 6.djvu/147

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appelle aujourd’hui la tranchée gratuite ; ce n’est pas un simple euphémisme administratif comme on pourrait le croire, ce sont deux opérations absolument différentes. Autrefois l’insuffisance des terrains avait fait adopter une mesure dont tout avait à souffrir : l’hygiène publique, qui était compromise, et le respect dû aux morts, que l’on mettait forcément en oubli. Les bières, entassées les unes par-dessus les autres et pressées côte à côte, formaient un vaste foyer d’infection que l’on recouvrait de 50 centimètres de terre environ ; cette promiscuité de cadavres révoltait tous les cœurs, et les pauvres gens avaient quelque raison de dire : On nous traite comme des chiens que l’on jette à la voirie. Des achats de terrain successifs ont permis d’agrandir les cimetières, sinon de leur donner l’ampleur indispensable, et l’on a pu alors procéder avec plus d’humanité. Un règlement du 14 décembre 1850 a déterminé le mode actuel des inhumations gratuites. Dans les longues tranchées ouvertes à 1m,50 de profondeur, les cercueils sont placés à une distance de 20 centimètres les uns des autres, mesurés à la plus large saillie, c’est à-dire aux épaules. Si chacun n’est pas absolument chez soi, comme dans le caveau des concessions perpétuelles ou dans la fosse des concessions temporaires, on est du moins à peu près isolé, et l’on peut être retrouvé avec certitude en cas d’exhumation ; l’on a au-dessus de sa dépouille une croix qui ne s’égare pas sur une autre, et le ci-gît qu’on y inscrit n’est plus menteur comme du temps de la fosse commune.

On comble la tranchée gratuite à mesure qu’elle reçoit sa sinistre pâture ; lorsqu’elle est pleine, on la laisse reposer pendant cinq ans au moins ; c’est le laps de temps que l’on juge nécessaire pour qu’un corps soit réduit à l’état inoffensif de squelette ; puis on la retourne, on l’ouvre de nouveau, on la creuse dans les