Page:Du Camp - Paris, tome 6.djvu/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pluies s’accumule dans les plis de la draperie en bronze, et les petits oiseaux, y vont boire. Il y a là aussi, plus loin, au milieu d’un dédale de tombes, une autre statue couchée et si élevée sur le piédestal qu’il est difficile de la voir. On l’a inaugurée en grande cérémonie, et elle a entendu plus d’un discours. C’est là un mauvais reste de nos haines et un appel à des sentiments néfastes. Si le pardon des injures et cette fraternité dont on a volontiers le mot à la bouche doivent être prêchés, c’est sur les tombeaux. Les monuments expiatoires, les sépulcres commémoratifs ne sont bons qu’à raviver des souvenirs qu’il faut laisser éteindre. Ne savons-nous pas, du reste, que dans l’histoire le 18 Fructidor donne la main au 18 Brumaire et que le 15 Mai précède le 2 Décembre ? Dans nos temps troublés, quel est l’homme politique qui peut se glorifier de n’avoir jamais rêvé l’appel à la violence ? Le culte des morts n’est sacré qu’à la condition de rester abstrait[1].

Après la grande bataille de mai 1871, l’on a porté au cimetière du Nord 783 fédérés, qui ont été inhumés côte à côte, dans leurs vêtements sanglants, au fond d’une tranchée longue de prés de 100 mètres. La folle avoine a poussé sur leurs corps et a nivelé le terrain ; mais un jour une vieille femme vint qui se mit à arracher les herbes, à préparer la terre et à planter quelques fleurs sur un coin de cette vaste fosse, il semble qu’elle se soit donné une tâche à laquelle elle ne veut faillir. Chaque matin, elle arrive dès que les portes du cimetière sont ouvertes, et tout le jour elle est là, agenouillée, fouissant la terre avec ses mains et la rendant

  1. Le droit est un, la légalité est une ; ni l’un ni l’autre ne se dédoublent au gré des passions politiques ; si Alphonse Baudin est mort, le 3 décembre 1851 en défendant la loi, que faisait-il donc le 15 mai 1848, à la suite de Blanqui, mêlé aux bandes qui, violant l’Assemblée nationale, en proclamaient la dissolution ? — Voir Compte rendu des séances de l’Assemblée nationale, t. Ier, p. 231.