Page:Du Camp - Paris, tome 6.djvu/223

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société anglaise, société très-riche, hiérarchisée et catégorisée à l’infini ; il ne conviendrait pas à la société française, démocratisée du haut en bas et jouissant à tous les degrés des mêmes droits politiques ; le véritable journal du suffrage universel, c’est le journal à un sou.

Si la liberté de la presse est un droit, il faut le laisser s’exercer ; si c’est une maladie, on doit la traiter par le mode homéopathique : similia similibus ; ce sont les journaux qui tueront le journal, c’est le nombre qui affaiblira l’influence, à cette condition toutefois, que chaque article soit signé réellement par l’écrivain qui en est l’auteur ; une opinion émise n’est respectable que si elle est couverte par une responsabilité déterminée. Cette liberté est parfois douloureuse, je le sais, et souvent elle a dépassé toutes bornes permises. A-t-elle été aussi dangereuse qu’on a bien voulu le dire, ou que l’on a feint de le croire ?

Après la révolution de 1848, un journal intitulé l’Organisation du travail publia, sous le titre de Fortunes foncières, une liste de propriétés évidemment désignées au pillage. On s’en émut, et chacun, sur l’heure, cria à l’assassinat. Trois jours après, cette fameuse liste de proscription était oubliée, et personne n’y pensait plus. Le journal a, en effet, cela contre lui et pour lui : il se lit, passionné et s’oublie avec une égale facilité ; dans plus d’un cas, des poursuites judiciaires ont fait remarquer et ont fixé dans le souvenir des articles qui auraient passé inaperçus. Qui se rappelle le Père Duchêne du 7 décembre 1869, dont on fut si troublé ? En pareille matière, la répression s’exerce presque toujours lorsque l’impression causée par le délit est déjà effacée. « Bien faire et laisser dire ; » c’est une ancienne devise qu’il est bon de ne point oublier. Quant aux journaux, ils ne pourraient que gagner à se rappeler la