Page:Du Camp - Paris, tome 6.djvu/302

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

savants ; vers le bal de l’Opéra, c’est un peuple de saltimbanques ; à la même minute, il y a cent peuples différents dans le peuple de Paris.

Chacun de ces peuples à ses habitudes différentes et, jusqu’à un certain point, une physionomie spéciale ; malgré l’uniformité des costumes, il est facile à un œil exercé de reconnaître à quelles professions appartiennent les individus qui forment la foule ; mais tous semblent parfois saisis d’une curiosité invincible fixée sur un seul point ou d’un amour inexplicable pour un personnage quelconque. C’est l’engouement, maladie très-française et surtout parisienne. Tout le monde a cru à Cagliostro et s’est assis autour du baquet de Mesmer ; on s’est étouffé dans les allées du Jardin des Plantes pour regarder la girafe et aux portes du Jardin Turc pour voir le chien Munito ; c’est comme un vent de folie qui tourne les têtes. Les enthousiasmes du Parisien sont subits, quelquefois foudroyants, mais ils durent peu. Il acclame La Fayette, Dupont (de l’Eure), Lamartine ; mais comme il n’aime pas qu’on vieillisse et surtout qu’on reste immuable, si on lui en parle six mois après, il les traitera volontiers de ganaches.

Semblable à Diogène, il cherche un homme, non pour étudier cette rare curiosité, mais pour l’admirer et au besoin pour lui obéir. En temps de péril, lorsque les ruines, que bien souvent il a accumulées par ses sottises, commencent à l’effrayer, il remet ses espérances et toute sa destinée à un homme ; il le choisit, il se le figure selon ses désirs et non selon la réalité, puis il lui pose le fardeau sur les épaules : si le héros improvisé fléchit sous le poids, on l’accuse de trahison. Dans notre histoire moderne, deux hommes ont eu l’esprit de mourir à temps : Armand Carrel et le général Cavaignac. En 1848, l’un eût été chargé de fonder la République ; en 1870, l’autre eût été sommé de sauver la