Page:Du Camp - Paris, tome 6.djvu/315

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Le lointain produit dans l’histoire le même effet que dans la nature. Pour voir les choses en beau, il ne faut que les contempler à distance. Lorsque l’homme regarde vers son enfance, tout lui apparaît plus souriant, plus aimable et plus doux ; une phrase toute faite exprime très-nettement cette sensation, on dit : les charmes du souvenir. L’humanité entière croit ainsi, trompée par les mirages de l’éloignement, que les jours d’autrefois étaient moins durs que les jours actuels, que tout y était plus fort, plus probe, plus grand ; elle obéit à la loi commune et s’égare en regrets stériles. Le Perdican d’Alfred de Musset a dit cela simplement d’une façon magistrale : « J’avais emporté dans ma tête un océan et des forêts, et je retrouve une goutte d’eau et des brins d’herbe. » Qu’est-ce que l’âge d’or ? qu’est ce que ce paradis perdu qui s’ouvre au seuil de toute religion, si ce n’est le souvenir idéal d’un passé bienheureux ?

Le bon vieux temps ! Je le vois dans les romans, je l’aperçois sur le théâtre, mais je le cherche en vain dans l’histoire ; il n’y est pas. Ceux qui l’évoquent sans cesse avec une prétendue sagesse qui n’est que de l’ignorance, s’imaginent que, s’ils eussent vécu à l’époque de Cinq-Mars, de Lauzun, de Nocé, de Létorières, ils eussent été des raffinés, des justaucorps à brevet, des roués, des marquis ; ils eussent été Gros-Jeans comme aujourd’hui et ils eussent vu des choses singulièrement semblables à celles qui les attristent. Ce siècle de Louis XIV, qui est resté comme un type de grandeur inimitable, fut, dit Saint-Simon, « un règne de vile bourgeoisie. » Loin d’être meilleures, les mœurs étaient pires, et le double adultère installé au trône même, régnant par la grâce de Dieu, s’imposant à la religion qui l’utilisait, à la noblesse qui le sollicitait, au peuple qui l’enrichissait, brisait toute retenue avec une impudeur