Page:Du Camp - Paris, tome 6.djvu/55

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sais d’où. On demanda le patron, il était absent ; on demanda le propriétaire, il n’y était pas. Sa femme vint à sa place, une petite femme rousse qui se mit à braire si fort que l’on n’en put rien tirer. On vérifia la contenance des barriques, puis un agent, ayant pris quelques seaux d’eau, les jeta sur la houille ardente, l’éteignit et se mit à démonter les appareils. Il connaissait son métier, celui-là ; en une heure il avait méthodiquement déboulonné les deux alambics et en avait rangé les pièces de façon que le commissaire de police pût y mettre les scellés. À 500 ou 600 mètres de là, on alla faire ouvrir un magasin secret dont le contenu, futailles et mélasse, fut apporté dans la distillerie. L’examen fait, séance tenante, sur la capacité des chaudières et la qualité des produits, a démontré que la fraude quotidienne pouvait être facilement de 750 francs ; en admettant que ce prudent industriel n’ait travaillé que la moitié de l’année, il bénéficiait de 136 500 francs par an. S’il y a cinquante distilleries clandestines de cette importance à Paris, — et elles y sont certainement, — nous dépassons déjà 6 millions 1/2.

Je n’ai pas à dire comment les agents, si peu nombreux, du contrôle général, parviennent à leurs fins avec une sorte de sûreté diabolique ; la perspicacité, l’amour de la chasse y sont certainement pour beaucoup ; mais une disposition du préfet de la Seine répartit le produit de saisie en trois parts égales : pour le trésor, pour la caisse de retraite des employés, pour les dénonciateurs ; en style administratif, on appelle ceux-ci les indicateurs, et l’on prétend que quelques-uns se font un revenu assez agréable à l’octroi. Tous les fraudeurs ne sont pas traduits devant les tribunaux, car la loi, par une disposition fort sage, a autorisé l’administration de l’octroi à transiger avec les coupables. Si ceux-ci évitent la honte d’un débat public, ils payent assez cher cet avantage ; la