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noble. Il aimait à causer ; j’aimais à l’entendre ; il racontait avec esprit, et j’ai passé de bonnes heures à fouiller dans la « gibecière de sa mémoire », où j’ai trouvé bien des anecdotes, entre autres celle-ci, qui mérite de n’être pas négligée. Au printemps de 1851, probablement vers le mois d’avril, Génie reçut la visite du comte de Morny, qui lui dit sans préambule que le Président de la République désirait causer avec lui et le consulter sur diverses questions pour lesquelles son passage au cabinet des Affaires étrangères et sa fréquentation de Guizot lui donnaient de la compétence. Génie répondit qu’il était aux ordres du Prince, et, le lendemain, il était reçu à l’Élysée.

Le prince Louis-Napoléon parut s’ouvrir sans réserve. Il expliqua à Génie que la situation qui lui était faite par l’Assemblée nationale était devenue intolérable, que la conspiration contre lui était permanente ; que le mauvais vouloir parlementaire ne laissait pas échapper une occasion de se manifester ; que sa vie matérielle même devenait pénible, par suite de la diminution de sa liste civile ; qu’il connaissait les complots, les projets de ses adversaires et qu’il était résolu à les déjouer. Qu’exigeait-il ? Peu de chose : la revision de la Constitution, de façon à obtenir la prolongation de ses pouvoirs, une augmentation de liste civile et l’établissement d’une Chambre haute, qui ferait contrepoids à l’Assemblée des représentants.

Il était décidé à tenter une révolution, ou plutôt une évolution, dans ce sens ; mais, avant d’engager la lutte, qui pouvait n’être pas sans péril, il voulait savoir s’il serait appuyé par les chefs des groupes parlementaires et si, dans le cas où il réussirait, il pouvait compter sur le concours de Guizot et du duc de Broglie. En conséquence, il priait M. Génie, dont il connaissait le patriotisme et l’habileté, de vouloir bien se transporter près de M. Guizot et près du duc de Broglie, afin de leur exposer ce plan et de leur demander s’ils l’approuvaient. Génie fut très étonné, il interrogea le Président, qui répondit sans difficulté à toutes les questions et fit comprendre à son interlocuteur qu’en cas de succès un siège lui serait réservé à la Chambre haute. Génie accepta la mission ; en le quittant, le prince Louis-Napoléon lui dit : « Vous êtes un ambassadeur pacifique ; je ne recherche que la conciliation de l’état de choses actuel et la grandeur de la France ; je demande l’adhésion des hommes