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15 avril 1882, la neuvième partie (chap. XVII), qui débute par le paragraphe suivant : « Si M. Génie, chef du cabinet de M. Guizot au ministère des Affaires étrangères, a laissé des mémoires, on y trouvera sans doute le récit de certaines négociations qui servirent de préliminaires au coup d’État du 2 décembre 1851. Souvent, je lui ai entendu raconter les péripéties d’une sorte de mission secrète dont il avait été chargé par le prince Louis-Napoléon, auprès de hauts personnages que je n’ai point à nommer. Des souvenirs que M. Génie détaillait avec complaisance, il résulterait que le coup d’État, arrêté en principe dans la pensée du Président, devait d’abord être une simple révolution parlementaire, mais que, sous l’influence de conseils écoutés, le plan s’était peu à peu modifié et avait abouti à une action militaire, suivie d’un gouvernement personnel. »

Le jeudi 20 avril, j’allai à l’Académie. En traversant la cour de l’Institut, je fus accosté par Guillaume Guizot[1], qui me dit : « C’est affaire à vous d’exciter la curiosité par des sous-entendus ! » Je ne répondis pas ; il reprit : « Est-ce que Génie vous a remis le double des papiers que j’ai trouvés dans les portefeuilles de mon père ? » Je répliquai, en riant : « Je ne sais pas ; mais j’ai beaucoup de papiers. » Guillaume Guizot parut assez ému et me dit : « Je vous remercie de votre discrétion. » Lorsque j’entrai dans la salle de nos séances, le duc de Broglie (Albert)[2] était devant la cheminée ; il vint à moi, me serra la main en me disant : « Votre dernier article, dans la Revue, est bien intéressant et fait avec une réserve dont on doit vous savoir gré. » Le duc de Broglie n’avait point l’habitude des compliments ; il ne me fut point difficile de comprendre ce qui me valait celui qu’il venait de m’adresser : lui non plus n’ignorait pas la négociation à laquelle son père (Victor) avait été mêlé.

L’exécution du coup d’État n’alla pas toute seule. Dans la nuit, on avait arrêté les questeurs, les généraux dont on redoutait l’opposition, et quelques représentants du peuple que l’on croyait redoutables. Dès la première heure, le colonel Espinasse avait fait fermer le Corps législatif. Des députés

  1. Guizot (Guillaume), 1833-1892. Littérateur, fils du célèbre homme d’État. (N. d. É.)
  2. Broglie (Albert, duc de), 1821-1901. Fils de Victor de Broglie, qui fut ministre sous Louis-Philippe. Membre de l’Académie française depuis 1862, il joua un rôle politique après la chute de l’Empire et fut président du Conseil en 1873-1874. (N. d. É.)