Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/113

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s’y introduisirent par une porte de service ; Espinasse demanda des instructions au général Magnan et au général Saint-Arnaud, qui répondirent qu’il avait dû recevoir des ordres ; Espinasse resta coi et n’osa déloger les députés. Morny fut averti ; il fit venir un capitaine de gendarmerie nommé Saucerotte et lui enjoignit de faire évacuer le Corps législatif.

Les députés, forclos de chez eux, parvinrent à se réunir, au nombre d’environ deux cents, à la mairie du Xe arrondissement[1] (faubourg Saint-Germain), où ils essayèrent de délibérer. Le maire envoya son fils prévenir Morny que tous les représentants du peuple pouvaient être pris d’un seul coup de filet. Morny avisa Saint-Arnaud, qui prétendit que ce genre d’opération était de la compétence du général Magnan ; le général Magnan riposta que seul Saint-Arnaud, ministre de la Guerre, avait autorité pour procéder à l’arrestation des députés. Morny fit alors appeler le général Forey dont la brigade était massée aux environs de la rue de Grenelle, et lui ordonna de se porter sur la mairie du Xe arrondissement, afin d’y saisir les représentants et de les conduire à la caserne du quai d’Orsay.

Forey envoya un lieutenant de chasseurs à pied à Saint-Arnaud pour lui demander s’il devait obéir aux instructions du comte de Morny, ministre de l’Intérieur. Saint-Arnaud prescrivit de faire envahir la mairie par les chasseurs à pied. Le chef de bataillon était malade et remplacé par le capitaine adjudant major ; celui-ci trouva la corvée pénible et s’en débarrassa au préjudice du lieutenant qui avait apporté l’ordre de Saint-Arnaud. Le pauvre lieutenant eût bien voulu décliner l’honneur d’une telle mission, mais « on ne raisonne pas sous les armes ». Arrivé dans la salle où les députés protestaient et venaient de charger le général Oudinot de mener le Prince Président à Vincennes, il fut décontenancé et balbutia. Les députés criaient ; le lieutenant hésitait ; un vieux sergent dit : « Pas tant de cérémonies ! » et il prit le vice-président, Vitet, par le bras. C’en fut assez ; les représentants du peuple se mirent en marche, entre deux haies de soldats. L’un des députés, Édouard Bocher, administrateur des biens de la famille d’Orléans, aperçut son

  1. La mairie du Xe arrondissement (aujourd’hui VIe), actuellement détruite, était située alors rue de Grenelle-Saint-Germain, presque en face de la rue des Saints-Pères.