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rendez-vous de beaucoup de jeunes gens attachés à la diplomatie étrangère, parmi lesquels elle distinguait, dit-on, Georges Villiers, qui fut plus tard le quatrième comte de Clarendon. C’est dans l’ancienne résidence des rois maures, près des féeries de l’Alhambra, que, le 5 mai 1826, l’impératrice Eugénie poussa son premier vagissement.

Le comte de Téba avait les cheveux noirs, la comtesse avait les cheveux très bruns ; la petite fille naquit et resta blonde. On en a fait honneur à Mérimée ; il baissait modestement les yeux et niait sans conviction la paternité qu’on lui attribuait ; il aurait dû la répudier nettement, car elle ne peut remonter jusqu’à lui. Il rencontra, pour la première fois, la comtesse de Montijo longtemps après la naissance de la future impératrice.

Dès qu’Eugénie fut devenue impératrice, on fouilla dans son passé, et la malveillance y fit des découvertes qui n’étaient que des calomnies. Elle a pu être légère et coquette, mais elle n’eut rien de grave à se reprocher. Les femmes de la grandesse d’Espagne ont des habitudes qui ne sont pas les nôtres et dont la pruderie, dont la jalousie de la société parisienne lui firent un crime. Lorsque, aux courses de Madrid, elle se montrait dans sa loge, parée des couleurs de Montès, qui fut une spada célèbre, lorsqu’elle faisait asseoir Montès dans la voiture qu’elle conduisait elle-même, lorsqu’elle faisait mine de répondre par des coups de fouet aux plaisanteries des jeunes grands d’Espagne, qui, selon l’usage, la tutoyaient, elle ne manquait point de tenue, comme les bonnes langues de Paris le criaient par-dessus les toits ; elle vivait simplement selon des coutumes que notre monde réprouve et que le monde espagnol admet. « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » ; c’est le mot de Pascal. Elle courut les villes d’eaux et les bains de mer ; on lui fit la cour ; cela ne lui déplut pas ; elle n’encouragea personne et se réserva. Eut-elle, dès le principe, la visée d’un mariage exceptionnel ? Cela est possible ; on serait injuste de lui imputer une telle ambition à mal : elle était Guzman, elle touchait aux Alvar Giron et au Cid Campeador ; de plus, elle avait une fortune personnelle de trois cent mille livres de rente ; quoi d’étonnant qu’elle ait rêvé de tréfler sa couronne de comtesse et même de la fermer ?

Je tiens d’une femme qui l’a connue enfant et qui est restée son ami « du matin » au palais des Tuileries, qu’elle