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angoisse, toutefois avec la nuance théâtrale qu’elle ne dédaignait pas.

Le 29 janvier 1853, la garnison de Paris, la garde nationale étaient sous les armes, le canon des Invalides retentissait comme pour une victoire. Quand l’union eut été consacrée à Notre-Dame et que l’on fut de retour aux Tuileries, l’Empereur, debout sur le balcon, assisté des maréchaux de France, présenta l’Impératrice au peuple. L’acclamation fut telle que les ramiers branchés sur les arbres s’envolèrent à tire-d’aile. Tout le monde était-il donc satisfait ? Non pas ; un de mes camarades de la garde nationale, un peintre nommé Landelle, dont le père était cuisinier chez Henry de Noailles, se sentait humilié et me disait : « Il eût fallu une princesse, une princesse de maison royale, qui pût tenir la Cour, car, enfin, une Cour nous est indispensable : ce mariage me désespère. » J’essayai de consoler Landelle et n’y pus parvenir.

Le soir même, il y eut un dîner chez la princesse Mathilde, dans son hôtel de la rue de Courcelles ; j’y étais. Cela sentait la fronde, et les menus propos allèrent bon train. La princesse était outrée ; ce mariage la subalternisait et la rejetait au second rang ; elle en était d’autant plus exaspérée qu’autrefois, en 1840, avant l’escapade de Boulogne, elle avait refusé d’épouser son cousin. Rouge, violente, entremêlant ses phrases de mots italiens, ce qui chez elle était un signe de colère, elle racontait, en essayant de plaisanter, les différentes phases de la cérémonie religieuse : « Quelle corvée ! L’encens m’a fait mal à la tête ; cette Eugénie n’est point belle au grand jour, le blanc ne lui sied pas ; elle était peinte comme une fille ; elle avait chaud, son rouge coulait sur ses joues. » Son amant, le comte Émilien de Nieuwerkerke, bellâtre à barbe noire, voulut placer un mot agréable et dit : « Avez-vous remarqué, princesse, qu’elle est comme les rousses et qu’elle a un peu de fumet ? » La princesse Mathilde ne se contenait plus ; elle répondit : « Du fumet, vous êtes charmant, vous ! du fumet ! dites donc qu’elle pue ! » Un des convives fut indigné et dit : « Je la trouve adorable ! » Le chansonnier Gustave Nadaud était du repas ; on le fit chanter au dessert, ainsi qu’à la guinguette. Le maître d’hôtel baissait les yeux, comme si sa pudeur eût été effarouchée. Le souvenir de ce dîner m’est resté déplaisant.

L’Impératrice n’était pas sur le trône que déjà on l’avait surnommée « Falbala première ». En effet, la nouvelle sou-