veraine, qui aurait pu, qui aurait dû être la grande maîtresse de la charité, la protectrice des arts, obéit aux instincts de sa futilité et devint la fée chiffon. Les combles des Tuileries furent installés pour recevoir « les atours » ; là, sur des mannequins de grandeur naturelle, les robes étaient toujours tendues, pour ne point contracter de faux plis ; on faisait venir les couturières, les marchandes de modes, et on travaillait avec elles, comme jadis Marie-Antoinette avec la Bertin ; on avait des conférences avec les joailliers, on justifiait le mot de Persigny. Le souvenir de Marie-Antoinette poursuivait l’Impératrice ; elle avait toujours sur sa table « le registre des toilettes de la Reine » que l’on avait retrouvé aux Archives. N’osant point reprendre les paniers, malgré l’envie qu’elle en avait, elle inventa les crinolines[1], et dès lors les femmes, cerclées de fer, minces par en haut, énormes par en bas, ressemblèrent à des sonnettes munies d’un manche. Lorsqu’on dînait entre deux femmes, on était enseveli entre leurs jupes. L’Empereur, que tant de cotillons offusquaient un peu, essaya de réagir et, secrètement, fit faire un vaudeville intitulé Les Toilettes tapageuses, que l’on joua au Gymnase[2]. Belle idée qu’il eut là et dont le résultat ne fut pas heureux ! L’actrice qui jouait le principal rôle s’appelait Delaporte ; elle avait donné tant d’ampleur à sa crinoline que les spectateurs éclatèrent de rire, lorsqu’elle parut en scène. Le lendemain matin, Pépa, femme de chambre de
- ↑ Renseignements fournis par Worth, qui fut le couturier de l’impératrice Eugénie. « La jupe à cerceaux fut inventée par l’Impératrice pour dissimuler l’approche de la naissance du Prince impérial, et la mode en fut immédiatement adoptée par la reine Victoria, qui attendait de son côté la naissance de la princesse Béatrix. L’ampleur donnée aux jupes par la nouvelle invention fut inimaginable. Il fallut employer dix largeurs de satin ou de velours pour la jupe la plus simple. Avec les étoffes plus légères, qui comportaient des volants, des ruches, etc., nous hésitions à promettre de tirer deux robes d’une pièce de 60 mètres avant d’avoir pris la première. Il m’arriva, une fois, de faire une robe qui prit 100 mètres de soie. C’était un taffetas glacé, à trois teintes purpurines, allant du lilas foncé au violet clair. La jupe était entièrement couverte de grosses ruches dans trois teintes. Une fois achevée, la robe ressemblait à un énorme bouquet de violettes. » (Suppl. du Figaro, 13 avril 1889, sous la signature de E. Masseras.)
- ↑ Les Toilettes tapageuses, comédie en un acte, mêlée de couplets, par MM. Dumanoir et Théodore Barrière, représentée pour la première fois, à Paris, sur le théâtre du Gymnase, le 4 octobre 1856 ; pièce jouée par MM. Geoffroy, Laudrol, Priston, Thibaut et par Mmes Delaporte, Désilée et Rosa Didier.