Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/159

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camp qu’il avait, il est vrai, signé l’article, mais qu’il n’en avait pas écrit un mot et s’était contenté de rectifier quelques phrases peu grammaticales de la « copie » primitive. Pressé de questions, il finit par avouer qu’appelé chez la princesse de Metternich il avait reçu d’elle l’article tout fait et un billet de cinq cents francs. « Dame ! Messieurs, vous comprenez : j’avais besoin d’argent, cinq cents francs, c’est une somme ; je n’ai pas cru devoir refuser » ; et le pauvre diable, pour prouver qu’il ne mentait pas, montrait les pages écrites par Mme de Metternich, corrigées par lui, et qu’il avait retrouvées au milieu des papiers de l’imprimerie.

Bonnin fut perplexe ; il consulta son ministre, qui lui donna le conseil, équivalant à un ordre, de laisser tomber cette affaire et de n’y plus songer ; car il était possible qu’elle eût un dessous politique. En effet, malgré les médisances de la Metternich, la princesse Jablonowska n’était point la première venue. Fille d’un riche boulanger de Pesth, d’une beauté héroïque, haïssant l’Autriche — que l’on se rappelle la guerre de 1848-1849 et les répressions sans merci qui ont suivi la défaite des Magyars, — elle avait été remarquée par le prince Jablonowski, alors qu’il était en Hongrie afin d’acheter des chevaux pour l’écurie de Victor-Emmanuel. Elle lui tint, comme l’on dit, la dragée haute et il l’épousa, ainsi que Napoléon III avait épousé Mlle de Montijo. Il la ramena à Turin, où il remplissait je ne sais plus quelle haute charge à la cour du roi d’Italie.

Victor-Emmanuel la vit, en devint amoureux et ne la trouva point rétive. Elle était en relations avec Kossuth, avec Klapka, avec Türr, avec Almasy, avec Gorové, avec tous les patriotes hongrois qui cherchaient des ennemis à la maison de Habsbourg, que la paix bâclée de Villafranca avait déçus dans leurs espérances et qui s’agitaient dans des conspirations dont le pivot était à la cour d’Italie, dans le cabinet même de Victor-Emmanuel, toujours penché vers le Mincio pour mieux apercevoir la Vénétie. La princesse de Metternich, ambassadrice d’Autriche, s’imagina-t-elle que la princesse Jablonowska était un émissaire envoyé par le Piémontais pour confier quelque secret à Napoléon III ; Hongroise, fut-elle irritée de voir une de ses compatriotes s’imposer au monde de Paris par le seul effet de la beauté ; sa laideur fut-elle irritée d’un succès dû à la splendeur des formes ; reconnut-elle une rivale future, rivale