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Marie-Antoinette, l’admiration pour Marie-Thérèse poussaient l’Impératrice vers l’Autriche ; aussi elle eut quelque préférence pour le prince de Metternich. Il n’y eut là que des bagatelles sans conséquence ; on put échanger des clins d’yeux et des serrements de mains, s’emparer d’une fleur, baiser furtivement un mouchoir ramassé ; mais ce fut tout. Manège de pensionnaire, auquel les femmes se refusent rarement. Elle était convaincue qu’en un jour de péril sa beauté réunirait autour d’elle tous les chevaliers errants que ses charmes avaient ensorcelés, Don Quichottes prêts à mourir pour la Dulcinée impériale. Ses instincts d’aventurière, qui ne s’éteignirent même pas sur le trône, lui faisaient croire qu’un jour, debout devant l’émeute, domptant d’un regard la bête populaire, elle entraînerait tous les cœurs et sauverait l’Empire. Les magnats de Hongrie avaient entouré Marie-Thérèse en criant : Moriamur pro rege nostro ! Elle crut qu’en la voyant les foules crieraient : « Nous voulons mourir pour toi ! » Elle rêva de monter à cheval et de se jeter au milieu des barricades. Je le sais ; car elle me l’a dit.

Au mois de janvier 1870, j’avais publié, dans la Revue des Deux Mondes, une étude sur la peine de mort[1] ; j’y demandais que le trajet de la cellule à l’échafaud fût abrégé. Quelques semaines après, je reçus la visite de Damas Hinard, secrétaire des commandements de l’Impératrice, qui vint me dire que celle-ci désirait me voir pour m’entretenir de la question que j’avais soulevée. Au jour indiqué, je me rendis aux Tuileries ; l’audience dura plus de deux heures, ce qui me mit mal à l’aise, car je n’avais pas été seul dans le salon d’attente. L’Impératrice, après m’avoir écouté, me promit de faire exécuter les modifications que je réclamais, et elle tint parole. Je pensais que, le but de la visite étant atteint, je n’avais qu’à me retirer ; j’étais loin de compte. Elle entama une autre conversation, me parla de l’Égypte, que je connaissais bien, et partit de là pour attaquer toute sorte de sujets, avec volubilité, comme si elle eût récité une leçon apprise, et surtout comme si elle eût voulu me faire admirer l’étendue de son intelligence.

Je l’écoutais avec la déférence due à une femme, à une souveraine ; je donnais, au besoin, la réplique et je restais surpris de tant d’efforts pour étonner un homme de lettres

  1. Paris, ses organes, etc., t. III, chap. XVI : La guillotine.