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Hortense avait séduit les exilés et ne les avait quittés que pour venir à Paris, épouser un peintre nuageux, nommé Sébastien Cornu.

Lorsque le prince Louis était à Ham et qu’il écrivait des livres sur le paupérisme et sur le canon, c’était elle qui faisait les recherches à la bibliothèque du roi, pour faciliter le travail du prisonnier. Elle était instruite, parlait plusieurs langues, ne manquait point de littérature et, sous le nom de Sébastien Albin, avait traduit avec succès un recueil de poésies allemandes. Bonapartiste par sentiment, par habitude, par conviction, elle se révolta lors du coup d’État du 2 décembre, peut-être parce qu’elle n’en avait pas été prévenue, et se brouilla avec son parrain. Querelle d’amoureux, qui ne dura pas longtemps. On se réconcilia, et Hortense Cornu eut à toute heure ses petites entrées.

L’Impératrice la ménageait et déployait de la coquetterie pour elle. Je crois bien qu’elle la redoutait un peu et s’en méfiait beaucoup. Hortense Cornu était clairvoyante et, si l’Empereur confia à quelqu’un ses ennuis domestiques, ce fut à elle. Son influence ne fut point mauvaise ; car il y avait en elle un fonds libéral, où souvent elle puisa la force de combattre les conseils trop autoritaires dont « l’entourage » n’était point avare. Le meilleur ministre de l’Instruction publique que la France ait eu sous l’Empire, Victor Duruy, fut désigné par elle à l’Empereur, qui en ignorait même l’existence ; bien souvent elle intervint pour obtenir des adoucissements aux peines encourues pour les délits politiques.

Liée avec Manin, avec Cernuschi[1], avec Montanelli[2], en relation avec le roi Victor-Emmanuel, elle poussa à la guerre

    de Napoléon Ier. C’est une erreur : Mme Lacroix n’était que simple femme de chambre, et son mari était employé dans la maison de la reine. Loin d’être séduisante, elle était grande, forte et d’aspect si masculin qu’en Suisse, après Waterloo, elle fut prise pour le roi Joseph déguisé en femme et faillit être arrêtée. Voir, à ce sujet, Mémoires sur la reine Hortense, par Mlle Cochelet (Mme Parquin), t. IV, p. 64 et 206, in-folio, Paris, Ladvocat, 1836.

  1. Cernuschi (Henri), 1826-1896. Homme politique et économiste italien. Prit part aux mouvements révolutionnaires de Lombardie et de Rome (1848-1849). Réfugié en France, il collabora au Siècle. (N. d. É.)
  2. Montanelli (Giuseppe), 1813-1862. Homme politique et littérateur italien. Prit part au mouvement révolutionnaire toscan (1848-1849) et se réfugia en France. (N. d. É.)