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de 1859 et plus d’une fois tint tête à l’Impératrice, qui s’y opposait. Elle n’était point timide aux Tuileries et fit souvent entendre des vérités que nul n’aurait osé dire. Elle entretenait une correspondance non seulement avec l’Empereur, mais avec des hommes d’État, avec des diplomates, avec des souverains étrangers. Les lettres qu’elle reçut forment plusieurs registres, qui ont été déposés à la Bibliothèque nationale et qui, m’a-t-on dit, serviront à éclairer plus d’un point obscur de l’histoire contemporaine.

Je l’avais surnommée la Fée aux Miettes ; en effet, comme la petite vieille dont Charles Nodier a raconté l’histoire, elle avait une activité infatigable et semblait douée du mouvement perpétuel. On n’apercevait jamais Sébastien Cornu, qui faisait de triste peinture, pendant que sa femme courait chez les ministres, recevait les ambassadeurs, allait causer dans le tuyau de l’oreille impériale, rentrait pour écrire à la reine de Hollande et recevait, le soir, quelques révolutionnaires de ses amis. Étrange créature, dont la probité fut si parfaite qu’elle partagea souvent son temps entre les Tuileries et les irréconciliables, sans inspirer d’autre sentiment que le respect de sa bonté. Elle savait que l’Empereur et l’Impératrice manquaient d’initiative, qu’ils ne cherchaient qu’à faire le bien, mais ne voyaient pas facilement le bien qu’il y avait à faire. Dans toute circonstance où il fallait accomplir un acte rapide qui pouvait accroître la popularité impériale, Hortense Cornu accourait.

Lorsque Horace Vernet tomba si gravement malade que l’on désespéra de le sauver, elle dit à l’Empereur : « Envoyez un aide de camp lui porter la plaque de grand-officier de la Légion d’honneur. » Quand la Saône débordée inonda Lyon, elle dit : « Partez vite, faites distribuer de l’argent par vos officiers ; promenez-vous dans les rues, de façon que votre cheval ait de l’eau jusqu’aux paturons ; ça produira bon effet. » C’est elle qui engagea l’Impératrice à se rendre à Amiens et à y visiter l’hôpital, pendant une épidémie de choléra. Elle avait l’instinct des actions souveraines, et elle les indiquait à Napoléon III, qui ne demandait qu’à les accomplir, mais ne savait pas les concevoir. Le pauvre homme s’en rendait compte et disait : « C’est Hortense qui me donne toutes mes bonnes idées. » Elle lui en donna cependant une dont le résultat ne fut pas heureux. Elle protégeait Émile Ollivier et ne fut pas sans l’aider à monter au pouvoir, d’où il