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annuelle, qui est approximativement de 326 000 hommes, on aurait pris la totalité du contingent, soit 160 000 hommes, divisés ainsi : armée active 80 000 hommes, réserve 80 000 hommes. L’une et l’autre de ces classes eussent fourni six années de service. Avec les hommes libérés, on créait une garde nationale mobile, astreinte à un service de trois ans. Cette combinaison eût donné 1 230 000 soldats. C’était de quoi faire face à l’heure du danger. Ce projet, qui était patriotique et faisait simplement appel au dévouement du pays, dans son propre intérêt, modifié par le Conseil d’État, encore modifié par la commission, atténué par les discussions préparatoires, n’arriva qu’à la fin de 1867 devant le Corps législatif, pour revêtir sa dernière forme qui l’annihilait.

Il faut avoir le courage de lire dans le Journal officiel les discours qui furent prononcés à ce sujet ; rien n’est plus navrant que cette lutte du maréchal Niel, ministre de la Guerre, parlant au nom de la raison, de la réalité pratique et se voyant battu par les phrases d’une rhétorique humanitaire et sentimentale que les événements ont rendue meurtrière. En somme, de quoi s’agissait-il ? Pour le gouvernement, de donner à la France une force très sérieuse ; pour l’opposition, de désarmer le pouvoir central, sans se soucier des conséquences qu’une telle faute pouvait entraîner. L’opposition sortit victorieuse d’un débat où s’agitait le sort de la France, et la France en a succombé. Toute la discussion, où les journaux hostiles à l’Empire soutenaient énergiquement les députés de l’opposition, pourrait se résumer par ces deux apostrophes : Jules Favre : « Vous voulez faire une caserne de la France ! » Le maréchal Niel : « Prenez garde d’en faire un cimetière ! » Ils ont eu raison tous les deux dans leur prophétie de malheur. C’est parce que la France a été un cimetière qu’elle est une caserne aujourd’hui.

Les contradictions ne sont pas rares dans la vie des hommes ; les changements d’opinion les font naître, les événements les imposent. Celles qui frappèrent les députés, dont l’unique souci fut de combattre ce que l’on nommait alors la loi du maréchal Niel, furent étrangement et doublement singulières. Membres du Gouvernement de la Défense nationale, ils eurent à décréter, sans contrôle ni réserve, la levée en masse et l’armement général, pour sauver, de septembre 1870 à février 1871, une cause que leur impéritie ou leur hostilité systématique avait compromise dès 1867 ;