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force armée est la seule puissance. La vraie puissance, croyez-moi, c’est l’influence morale. »

Ernest Picard, qui cependant était un garçon d’esprit, revient à la charge et lâche cette bourde : « Dans la nouvelle loi, on s’est placé exclusivement au point de vue militaire, non au point de vue civil. » À ces lieux communs, dignes de la conversation de deux bas-bleus humanitaires et que tout homme se targuant de politique aurait dû répudier, vient s’ajouter la note grotesque. Elle est donnée par un certain de Janzé, qui avait pour spécialité de traiter les questions qu’il ne connaissait pas. Il ne veut pas que son patriotisme soit pris en défaut et le prouve : « Conservons nos contingents ordinaires, et si la guerre éclate, deux ou trois mois avant l’ouverture des hostilités, vous demanderez des soldats à la Chambre, et alors on vous en donnera deux millions, s’il le faut. »

Jules Simon reparaît encore et se tresse des couronnes que l’avenir ne tardera pas à faner. « J’espère, dit-il, que l’on nous rendra la justice de dire que toutes les fois qu’il a été question d’organiser ce que l’on appelle la paix armée, on nous a trouvés en travers de toutes les mesures proposées pour arriver à un but contraire à tous nos désirs, à toutes nos aspirations, à tous nos principes. » La sagesse des nations a dit : Si vis pacem, para bellum ; Jules Simon, qui semblait l’ignorer en 1865, doit le savoir aujourd’hui.

Je crois que ces turlutaines n’auraient point ébranlé l’opinion du Corps législatif, si le Corps législatif eût eu une opinion ; malheureusement, il n’en avait pas ; tout en étant dévoué au régime impérial, il se méfiait des ministres ; il était déjà tourmenté de velléités parlementaires, il subissait l’influence de Thiers, auquel il reconnaissait des aptitudes spéciales, surtout en ce qui concernait les choses de l’armée. On attendait, pour prendre une décision, que l’historien du Consulat et de l’Empire, qui avait raconté tant de batailles, compulsé tant d’effectifs, tant joué, dans ses livres, au stratège et au manœuvrier, expliquât sa façon de penser en ce grave sujet. Quelque intelligent qu’il fût, ou qu’il parût être, Thiers était un homme du passé ; au point de vue politique, il en était resté au système censitaire, à des majorités formées de deux ou trois voix, à la coalition contre le ministère Molé, à sa lutte contre Guizot, aux escarmouches de tribune qui avaient amusé le pays pendant le règne de Louis-Philippe ;