Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/274

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son énergie avait des défaillances ; il se demandait sans doute s’il serait de force à dominer les périls qu’il pressentait ; on eût dit qu’il cherchait un terrain solide pour y mettre le pied et qu’il ne le trouvait pas. Lorsqu’il regardait derrière lui et revoyait ce règne dont il s’était tant promis, il s’apercevait que les événements suscités par la politique avaient eu des résultats contraires à ses prévisions. La guerre de Crimée, qui avait coûté tant d’hommes et tant d’argent, n’avait donné aucun accroissement matériel, et l’effet moral qu’elle avait produit s’était évanoui depuis longtemps ; les conquêtes et les suites de la campagne d’Italie, loin d’apaiser les ambitions italiennes, n’avaient fait que les surexciter, et le mot d’ordre légué par Cavour : « Rome capitale » lui rappelait que les peuples ne se souviennent pas, lorsqu’ils ont intérêt à oublier. La papauté criait à la trahison, se disait persécutée, entraînait l’Église dans son ressentiment et s’efforçait de créer des difficultés à celui qui avait permis qu’elle fût dépouillée ; l’Autriche, battue par la France, affaiblie dans son prestige et ses armes, n’avait pu résister à la Prusse, qui devenait une puissance incommode avec laquelle il fallait sérieusement compter ; l’expédition du Mexique était plus qu’un échec et le dénouement en faisait un désastre. Ainsi, à l’extérieur, tout semblait se dresser contre lui. À l’intérieur, la situation n’était point plus propice, et toutes les libertés qu’il avait concédées ou qu’il s’était laissé arracher lui devenaient hostiles et, contrairement à ce qu’on lui avait dit, à ce que peut-être même il avait cru, ébranlaient son trône, au lieu de le raffermir.

Il s’apercevait confusément qu’il avait menti à son principe et qu’il en périssait ; il ne pouvait être que despote, comme tout souverain issu d’un vote populaire et représentant la démocratie qui se couronne elle-même ; il était inhabile au rôle de monarque constitutionnel et parlementaire ; entre ses origines, sa raison d’être et les modifications que son pouvoir avait subies, il y avait une contradiction qui, tôt ou tard, deviendrait mortelle. Dans sa maison même, toute autorité lui était disputée. L’Impératrice, d’opinions arriérées, de propos inconsidérés, d’attitude railleuse, groupait les mécontents autour d’elle, se croyait appelée à jouer les Sémiramis, faisait des rêves de régence près de ses confidents et attendait avec impatience, dit-on, l’heure de saisir et d’exercer directement le pouvoir personnel.