Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/275

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Napoléon III voyait tout cela, et c’est ce qui lui faisait, m’a dit un des hommes qui l’ont le plus aimé, cette expression mélancolique, résignée, où, depuis, l’on a cru reconnaître la vision ou le pressentiment de l’avenir ; un mot étrange m’a été dit : « Il n’était plus que l’épave de lui-même. » L’image est éclatante de vérité. Au lieu de donner l’impulsion, c’est lui maintenant qui la recevait, et les mains qui la lui donnaient ne lui inspiraient que peu de confiance ; il ne savait trop où on le menait ; mais il était fataliste et, conservant quelque vague espoir au fond du cœur, il fermait les yeux et s’en allait, entraîné par un courant qu’il n’essayait même pas de remonter.

Émile Ollivier, devenu, en Conseil des ministres, le plus obséquieux des hommes, s’empressait d’accéder aux désirs manifestés par l’Empereur et redoublait d’effort pour satisfaire aux exigences du Parlement, où il trouvait la majorité qui lui assurait le pouvoir. J’ai toujours cru que si la guerre n’avait jeté l’Empire aux décombres et que, si Ollivier était resté longtemps aux affaires, on serait arrivé à une sorte de régime bâtard sans grandeur ni sécurité, analogue à celui qui a régi la France sous le règne de Louis-Philippe, après l’attentat de Fieschi et les lois de septembre 1835 qui en furent la conséquence. On eût maintenu le suffrage universel, que l’on eût dirigé dans des sentiers étroitement tracés ; mais la liberté de la presse eût été supprimée et le souverain eût repris en partie son pouvoir, à l’aide et à l’abri d’un ministère complaisant et complice. C’est vers un semblable état de choses qu’Ollivier s’acheminait insensiblement ; son infatuation l’y poussait ; il eût laissé gouverner derrière lui, croyant gouverner lui-même et, fatigué par les luttes incessantes, il les eût simplifiées, en les empêchant de se produire. Cette métamorphose n’eut point à se faire accepter et celle que l’on dut subir fut plus cruelle.

Cette année 1870, je quittai Paris plus tard que d’habitude. Je travaillais alors à un ouvrage assez considérable, intitulé : Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde moitié du XIXe siècle. J’avais eu à étudier le mécanisme de l’Assistance publique et à visiter tous les établissements secourables dont elle a la charge ; cela m’avait pris beaucoup de temps et je n’arrivai que le 21 juin à Baden, où je me mis immédiatement au travail, utilisant les notes qu’avant mon départ j’avais recueillies sur les hospices de la vieillesse,