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Empire fut servi de la sorte par presque tous ses fonctionnaires.

Le 30 juin 1870, Émile Ollivier, du haut de la tribune du Corps législatif, avait dit : « À aucune époque le maintien de la paix n’a été plus assuré qu’aujourd’hui. De quelque côté que l’on tourne les yeux, on ne découvre aucune question qui puisse receler un danger ; partout les Cabinets ont compris que le respect des traités s’impose à chacun, mais surtout les deux traités sur lesquels repose la paix de l’Europe : le traité de Paris de 1856, qui assure la paix à l’Orient, et celui de Prague de 1866, qui assure la paix à l’Allemagne. » Un proverbe turc dit : « Si tu portes un vêtement rose, prépare tes habits de deuil. » Le 3 juillet, de Mosbourg vint me voir dans la matinée et m’annonça que le trône d’Espagne était offert au prince Léopold de Hohenzollern qui l’acceptait. L’incident nous paraissait si peu grave que nous en rîmes. « Que va-t-il faire dans cette galère, le pauvre garçon ? Avant six mois, ses sujets l’auront reconduit à la frontière. » Et nous n’épargnâmes pas les considérations superflues sur les sottises de l’ambition humaine. Le soir, j’allai à la terrasse, devant la maison de conversation, là où l’on fait quelque musique, où l’on se promène, où l’on se rencontre, où l’on bavarde, où l’on apprend les nouvelles. Tout était calme, c’est-à-dire bruyant, et nul ne semblait se préoccuper de cette candidature qui surgissait spontanément ; loin de s’en inquiéter, on en souriait.

L’indifférence ne fut pas de longue durée et, dès le lendemain, on apprit, par dépêche affichée dans les salons du casino, que la presse parisienne témoignait un mécontentement unanime ; que l’on paraissait fort irrité contre la Prusse et que l’on ne se gênait pas pour « rappeler le comte de Bismarck à la pudeur ». J’avoue que je n’y comprenais pas grand-chose et je trouvais que nous avions la fibre patriotique bien susceptible. J’en parlai à de Mosbourg, qui était assombri ; la portée de son esprit n’avait rien d’excessif, mais il était de bon sens et avait longtemps, quoique en sous-ordre, pratiqué les affaires diplomatiques.

Ce qu’il m’a dit, je ne l’ai pas oublié : « Ça prend mauvaise tournure ; avec la polémique des journaux et les discussions de la Chambre, on va se laisser entraîner et l’on ira plus loin que l’on ne veut. Ce n’est ni Gramont, ni Ollivier qui seront capables de résister à un mouvement de l’opinion publique,