Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dite. Avec lui, l’Empereur fut charmant, plein de prévenance et même de coquetterie. Oppermann ne résista guère et fut séduit. « Le mâtin ! disait-il à Morny, quand ils furent seuls, il m’a ensorcelé ; ma foi, tu as bien fait de prendre mon passeport. »

Deux ou trois jours après, Oppermann était nommé maréchal des logis du palais, sous les ordres du maréchal Vaillant. Il accepta et son dévouement fut sérieux. Dans bien des circonstances, il fut un conseiller utile, et c’est le plus souvent par ses mains que passaient les charités occultes auxquelles Napoléon III ne se refusait pas. Il avait fort à faire, car la distribution des secours pris dans la cassette impériale se montait à la somme quotidienne de dix mille francs, soit trois millions cinq cent mille francs par année. Cette aventure, honorable pour les trois personnages en jeu, a été racontée en ma présence par Oppermann lui-même à Albert Tachard, qui fut nommé député dans le Bas-Rhin, aux élections de 1869, et qui, après la révolution du 4 septembre, fut ministre plénipotentiaire de France en Belgique, pendant la guerre franco-allemande[1].

Louis-Philippe avait donc à se défendre contre les faux billets de banque de la légitimité, contre les émeutes, les coups de fusil, les machines infernales du parti républicain, contre les complots militaires d’un descendant de Napoléon Ier. Sa royauté constitutionnelle faisait face à bien des périls ; elle était, en outre, revendiquée par deux prétendants qui s’agitaient dans Paris et s’étonnaient de n’être point redoutables, mais ils eurent des partisans, car le premier besoin de la crédulité publique est d’être dupée. Quelqu’un se souvient-il encore de Marie Stella, qui habitait au coin de la rue Mondovi et de la rue de Rivoli, et dont le balcon servait de lieu de réunion aux hirondelles près de partir ? Personne, assurément. Elle eut son heure, cependant, et fit tant de bruit autour de ses prétentions qu’après quatre ou cinq années de patience on la mit en voiture, au mois de décembre 1839, et on la reconduisit à la frontière.

Elle affirmait qu’elle était la fille de Louise-Marie-Adélaïde de Bourbon-Penthièvre et de Louis-Philippe-Joseph d’Orléans, dit Égalité, que le duc et la duchesse d’Orléans, désespérés d’avoir une fille, l’abandonnèrent et lui substituèrent un

  1. Oppermann était à Sedan avec Napoléon III ; je crois, sans pouvoir l’affirmer, qu’il l’accompagna à Wilhelmshœhe.