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préparatifs de combat ; toutes les troupes se retiraient, semblant faire un mouvement concerté vers le Palais-Royal, les Tuileries, la place de la Concorde et les Champs-Élysées ; on paraissait abandonner le centre de la ville à l’insurrection et réserver les derniers efforts de la défense pour la résidence du roi et la Chambre des députés. Était-ce un plan stratégique destiné à grouper sur un seul point toutes les forces disséminées et qui permît de reprendre l’offensive, pour éviter une révolution dont l’immense majorité de la population ne voulait pas ? Nullement ; c’était une retraite[1]. »

C’est de Giacomoni lui-même que je tiens ces détails, et j’ai pu en contrôler l’exactitude. En 1859, j’étais à Gênes, au moment où Napoléon III venait de gagner la bataille de Solférino. Les blessés des combats précédents avaient été distribués dans les principales villes du Piémont ; Gênes en avait reçu un nombre considérable. J’allais souvent à l’hôpital della Lanterna voir un de mes camarades de collège, le lieutenant-colonel de Ferrussac, qui, à Montebello, avait été frappé d’une balle au pied. Un jour que j’étais près de lui, il me parla d’un capitaine grièvement blessé que l’on soignait dans une chambre voisine, et qui semblait abandonné, car il était réduit à la compagnie de son « planton ».

Je m’empressai d’aller offrir mes services à ce pauvre délaissé, qui parut me recevoir avec quelque défiance. J’aperçus un homme de haute taille, de visage énergique, d’humeur sombre, poli avec une nuance de froideur peu dissimulée. C’était le capitaine Giacomoni. Il avait eu le dos traversé par une balle au-dessous des épaules et était persuadé que sa blessure était mortelle. Je multipliais mes visites, j’apportais des fruits, je refaisais le pansement, je prêtais des livres, je racontais les nouvelles de la guerre ; le capitaine s’habitua à moi, finit par me prendre à gré, et de son humeur revêche il ne resta plus vestige. Entraîné dans une causerie sur les incidents de sa vie de soldat, il me fit le récit que l’on vient de lire et reconnaissait que son coup de feu avait eu des conséquences qu’il ne prévoyait guère, lorsqu’il le lâcha imprudemment. Il me dit : « J’avais à côté de moi un de mes « pays », un homme de Sartène, qui était sergent et s’appelait Pietro Paulo Pietri ; quand

  1. Souvenirs de l’année 1848, chap. III, p. 59 et suiv.