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Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 1.djvu/94

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crochu surmonté de lunettes en fer, et qui s’appelait Eugénie Niboyet. C’était une prétentieuse personne qui, sous prétexte de discours et sans broncher, débitait des phrases empruntées aux œuvres de Fourier, de Saint-Simon, d’Enfantin et des autres sensualistes qui ont voulu émanciper la femme à leur profit. Si la présidente était disgracieuse, la vice-présidente, en revanche, était une des plus charmantes femmes que j’aie vues. Elle a fait parler d’elle, depuis cette époque, et il est convenable d’en dire quelques mots.

Elle était connue sous le nom de Noémie Constant ; elle publiait de mauvais vers, dans La Voix des Femmes, dont elle était une rédactrice assidue ; elle émettait des opinions exaltées ; mais on lui pardonnait en faveur de sa jeunesse et surtout de sa beauté, qui était exceptionnellement séduisante. Elle avait été sous-maîtresse dans un pensionnat de jeunes filles, à Vanves ou à Issy ; elle se nommait Noémie-Alexandrine-Victorine Cadiot et était née à Paris, le 12 décembre 1828. Le 13 juillet 1846, elle avait épousé, à la mairie du Xe arrondissement, Alphonse-Louis Constant, qui avait été sous-diacre. Le mariage ne fut point heureux, l’argent était rare ; Noémie rêvait d’émancipation ; elle tâtait de la poésie et de la sculpture ; Victor Hugo et Pradier, vers 1848 et 1849, lui donnèrent des leçons particulières. On se sépara à l’amiable. Le mari, que l’on continuait à appeler l’abbé Constant, se fit professeur de magie, sous le nom d’Éliphas Lévy, et publia quelques livres baroques, où la clavicule de Salomon est souvent citée.

Noémie faisait de la sculpture, revue et corrigée par un praticien nommé Bourdon ; du reste, elle ne manquait point de commandes ; l’État fournissait le marbre et payait bien, grâce à la protection d’Hector Lefuel, architecte du Louvre.

Le 26 janvier 1865, sur la requête de Louis Constant, le mariage fut annulé par les tribunaux de la Seine, appliquant la loi organique de germinal an X, sur le Concordat. Le 26 août de la même année, Noémie obtint l’autorisation de porter le nom de Cadiot-Claude Vignon ; elle signait de ce pseudonyme, pêché dans l’œuvre de Balzac, les articles qu’elle écrivait dans le journal Le Temps. La Guéronnière[1] avait fait accorder à Nefftzer l’autorisation de créer Le Temps et lui avait imposé la collaboration de la Noémie, qui colla-

  1. La Guéronnière (L.-Ét. Arthur, vicomte de), 1816-1875. Conseiller d’État (1853) et sénateur (1861). (N. d. É.)