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Rentré chez moi, je remis le passeport à Piétri, qui me dit : « Tout passeport étranger, pour être valable, doit être visé au ministère des Affaires étrangères ou à la préfecture de Police ; ayez la bonté d’aller voir Mettetal et demandez-lui de contresigner ce papier. » Mettetal était alors chef de la première division, et, comme il avait dans ses attributions le bureau des passeports, des livrets, des ports d’armes, des permis de séjour, il avait droit de signature au lieu et place du préfet.

C’était un homme très actif, intelligent, verbeux comme tous les gens de police qui semblent vouloir compenser le secret professionnel par un abus de loquacité, très simple d’allures, protestant convaincu, très lié avec Guizot, de façons correctes, riche et d’une bonté rare. Je le connaissais beaucoup, car j’avais été très fréquemment en relation avec lui, lorsque, pour mon livre de Paris, j’avais étudié les malfaiteurs, la prostitution, la mendicité, le service de sûreté, les prisons et la guillotine. Nous étions bons amis et, bien souvent, dans son cabinet j’avais assisté à des arrangements d’affaires « officieuses », dont quelques-unes m’ont causé un étonnement qui n’est pas encore dissipé. J’allai donc le voir avec une confiance qui ne fut point trompée, et si je parle de cette visite, c’est parce qu’elle eut des conséquences que l’on n’a jamais soupçonnées et qui furent heureuses pour bien des gens qui ne s’en sont guère doutés.

La préfecture de Police occupait alors des bâtiments provisoires, successivement construits selon les exigences du service, et qui s’étendaient dans la partie comprise aujourd’hui entre la place Dauphine et l’escalier du Palais de Justice. À l’aide d’un couloir en planches, on rejoignait l’hôtel du préfet, qui était l’ancienne résidence des premiers présidents du Parlement, et qui s’ouvrait sur le quai des Orfèvres. Ce n’étaient que coins et recoins, passages, corridors, chambrettes servant de bureaux, avec issues de tous côtés, sur la place Dauphine, sur la rue de Harlay, sur le quai de l’Horloge, sur le quai des Orfèvres, sur la rue de Jérusalem et sur les cours intérieures du Palais de Justice. C’était, comme disaient nos grand-mères, bâti de boue et de crachat. Lorsque la Commune y mit le feu, ça flamba mieux que paille.

D’habitude on y pénétrait ainsi que sur une