Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/15

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çaient entre eux, et je me souviens d’avoir vu la lettre d’un fabricant de pipes suédois qui signalait « les menées coupables » d’un de ses concurrents, né à Prague ; jalousie de métier, pas autre chose ; on surveillait les changeurs juifs, qui, presque tous, portent des noms allemands. La police était en action jour et nuit, bien plus pour rassurer la population éperdue que pour découvrir les agents prussiens auxquels elle ne croyait guère. Ce n’était pas une sinécure alors que d’être attaché aux services de la Préfecture de Police ; on n’ignorait pas que l’on tentait de susciter un mouvement populaire et qu’on saisirait la première occasion pour le faire éclater. On suivait donc des yeux les révolutionnaires, parmi lesquels on comptait plus d’une bouche qui avait intérêt à ne pas être discrète.

Dans la nuit du 13 au 14 août, des agents conduits par Lagrange, chef du service politique de la préfecture de Police, fouillèrent — barbotèrent, selon leur expression — une petite maison isolée, située en marge des fortifications, du côté de la porte du Pré-Saint-Gervais. L’homme que l’on voulait arrêter, et dont j’ai oublié le nom, put décamper et gagner au pied, pendant que l’on enfonçait sa porte ; mais dans l’appartement — deux chambres — qu’il occupait, on trouva des revolvers, des boîtes à cartouches, des drapeaux rouges en laine fine d’Allemagne, des brassards en satin cramoisi à crépines d’or, un état des forces militaires de Paris, un état de l’armement des fortifications et, au milieu de paperasses répandues sur une table, la carte de visite du valet de chambre du prince de Mecklembourg. On fut assez troublé de cette découverte, qui semblait prouver que l’ennemi entretenait des relations avec quelques énergumènes de Paris ; on attacha une importance capitale à la carte de visite et l’on se demanda, avec plus d’inquiétude, je crois, que de raison, si les groupes insurrectionnels ne se préparaient pas à tendre la main à la Prusse. Une tentative d’émeute qui éclata le dimanche 14 août, c’est-à-dire quelques heures après la saisie des objets que je viens d’énumérer, sembla donner corps à cette supposition et en faire une certitude.

Dans la matinée du dimanche, on avait appris, par dépêche télégraphique, que Nancy venait d’être occupé par les troupes allemandes. On s’en était ému, mais avec tristesse, plutôt qu’avec colère. La population était restée calme, et les gens