Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/159

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contra avec Trochu : « Eh bien ! général, combien nous faudra-t-il de temps pour renvoyer le roi Guillaume aux bords de la Sprée ? » Trochu, souriant et prenant une attitude de marquis d’opéra-comique, répondit : « Ne vous inquiétez pas, monsieur ; nous ferons une galante défense. » Duruy resta suffoqué et ne comprit rien à tant de désinvolture. Du reste, dans le gouvernement, on croyait si peu à la possibilité de tenir l’ennemi éloigné de Paris que, le 13 septembre, on nomma une commission des barricades intérieures, dont Rochefort fut élu président. Étienne Arago, lui, demanda que, pour la construction de ces barricades, futur tombeau des hordes allemandes, on rompît avec les « routines du génie militaire » !

Les forces dont le général Trochu avait le commandement en chef étaient composées de 100 000 soldats de troupes régulières, de 80 000 mobiles et de 350 000 gardes nationaux ; avec ces 530 000 hommes, il ne parvint pas, il n’essaya même jamais sérieusement de briser la ligne d’investissement, qui cependant ne fut formée que par des troupes dont le maximum ne s’est élevé qu’à 220 000 hommes. Cela tient à ce que la garde nationale fut inutile, sinon nuisible, malgré quelques glorieuses exceptions qui rendaient plus douloureuse encore l’attitude de la masse. Une faute irréparable avait été commise ; les généraux, accoutumés aux bienfaits militaires de la discipline et de l’obéissance passive, conseillaient au gouvernement de nommer lui-même, sur des listes préparées avec soin, les officiers des gardes nationale et mobile. Jules Favre combattit ce projet et le fit avorter, parce que, disait-il, « les gardes nationaux et les gardes mobiles ont tout intérêt à choisir parmi eux les plus braves et les plus capables ». On ne sait s’il faut rire ou pleurer d’une telle candeur.

Cette garde nationale, qui semble avoir été inventée pour occuper l’oisiveté des Parisiens et préparer la Commune, était cependant sortie d’un élan spontané dont un homme habile ou seulement énergique eût tiré parti. Promptement, elle devint le point de mire des ambitieux, car elle représentait une réserve imposante d’électeurs dont bientôt peut-être on aurait à solliciter les suffrages. Tout le monde lui parlait ; on la grisait d’éloges, on l’enivrait de grands mots ; elle était l’espérance, elle serait le salut ; chacun se croyait un droit de lui adresser sa petite proclamation. Dieu sait