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solennellement promis à la nation ? On semblait ne plus s’en préoccuper, et, en réalité, on ne s’en préoccupait pas. On tenait la dictature et on ne se souciait pas de s’en démettre. Bismarck désirait qu’un Corps législatif fût élu en France, afin d’avoir en face de lui une puissance réelle ; il avait fait proposer, dès le 9 octobre, à Jules Favre, par deux Américains, MM. Forber et Burnside, un demi-armistice de huit jours pour préparer les élections générales, un armistice complet de quarante-huit heures pour les faire et le droit accordé aux députés de traverser les départements envahis, afin de pouvoir se réunir à Tours.

Le Gouvernement de la Défense nationale en avait délibéré et l’on s’en méfiait. À Paris, elles eussent été socialistes et révolutionnaires ; en province, elles eussent probablement donné la majorité à la réaction. Ici et là, elles auraient été non seulement contraires, mais hostiles au gouvernement né le 4 Septembre ; c’est pourquoi on n’en voulait pas.

Thiers n’a pas été tendre pour Gambetta, qui, à aucun prix, n’a voulu appeler la nation à prononcer sur son sort. À l’Assemblée de Versailles, au mois de juin 1871, parlant de cette guerre poursuivie, quoique nul espoir ne subsistât depuis longtemps, il a dit : « Pour continuer cette politique insensée, on avait l’audace de vouloir ôter au pays l’exercice de ses droits ; on ne voulait pas qu’il y eût une assemblée. Pour moi, j’ai lutté autant que je le pouvais, à Tours et à Bordeaux, contre cette prétention antinationale, atroce par ses résultats, arrogante, insolente, de vouloir, à quelques-uns que l’on était, se substituer à tous, contre la France elle-même, quand il s’agissait de son salut. Reportez-vous à la situation que nous avions à Bordeaux. Quelle idée vous a dominés ? Vous avez songé à une seule chose, à enlever le pouvoir aux hommes aveugles, aux despotes qui prétendaient retenir la France dans leurs mains. »

Il faut convenir que parfois Thiers ne cherchait pas ses mots, ils lui venaient d’abondance. Je ne sais quel jugement l’histoire portera sur la conduite de Gambetta pendant l’exercice de sa dictature, mais je jour où Thiers a ainsi parlé devant les représentants de la nation, il n’a été que le porte-voix de la conscience publique, j’entends la conscience publique de ce temps-là.

À un moment déjà désespéré, lorsque la délégation avait été chercher un refuge à Bordeaux, derrière la Gironde, vers