Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/187

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Gambetta, avant de partir pour aller renforcer et annihiler la délégation de Tours, avait eu un long entretien avec le général Trochu, car il était indispensable de se mettre d’accord sur les opérations à venir, afin de les faire concourir à une action commune, sans quoi l’on risquait de tomber dans l’incompréhensible et de marcher de désastre en désastre. L’objectif était de débloquer Paris, de lui rendre la liberté de ses mouvements et de réunir les troupes qu’il contenait à celles que la province avait rassemblées, car on comprenait que ce n’était pas trop de toutes les forces de la France pour reconduire jusqu’à la frontière et au-delà, s’il était possible, la masse allemande qui nous étreignait. J’imagine que Gambetta et Trochu, ces deux avocats, ont dû longtemps parler, mais, à voir le résultat de leur conférence, on pourrait croire qu’ils ne se sont point écoutés ; car c’est de l’entrevue de ces deux dictateurs militaires que date cette cacophonie où nous avons sombré. Les dispositions qu’ils vont adopter donneront l’impulsion définitive à la seconde période de la guerre, à celle qu’entreprend et que soutiendra la nation française qui, ayant rejeté l’Empire, ne veut pas en accepter les défaites.

Longuement, avec mille détails, indiquant du doigt sur les cartes de l’État-Major la route qu’il faudrait suivre, le général Trochu, professeur ès arts de stratégie, développe son plan — ce fameux plan dont il a été tant parlé — à Gambetta. Or le plan du général Trochu, que je ne me permettrai pas d’apprécier, mais que j’ai entendu louer sans réserve par des hommes de guerre, était celui-ci : sortir de Paris en masses profondes, par l’Ouest, tout en occupant fortement l’ennemi vers le Nord et vers le Sud ; franchir la presqu’île de Gennevilliers, malgré les deux bras de la rivière qu’il faudra traverser ; marcher lestement vers Rouen, en gardant toujours, comme fossé de défense, la Seine à sa gauche ; s’établir au débouché sur la Manche de façon à utiliser la flotte qui pourrait transporter en Picardie des troupes, à l’aide desquelles on tenterait de rétablir des communications par le Nord avec Paris, que l’on parviendrait peut-être à ravitailler. La Normandie est un pays riche, très abondant, l’on y vivrait à l’aise. La province, que le délégué du Gouvernement de la Défense nationale avait mission de soulever et d’équiper, de façon à y trouver les éléments d’une armée de secours qui donnerait la main à