Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/206

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famille. Si ce fait devait être nié, on en trouvera les preuves au ministère de la Guerre.

Parmi les petits moblots, beaucoup ont été héroïques ; ici, ce mot dont on a tant abusé n’a rien d’excessif. Que dire de ce 33e régiment, exclusivement composé des mobiles du département de la Sarthe, dont le général Chanzy, qui se connaissait en bravoure, ne pouvait parler sans émotion ! Il me disait : « Ils sortaient du cœur même de la Gaule ; ils me rappelaient cette légion de l’Alouette dont l’armée romaine était si fière ; il n’y avait pas à les haranguer ; on leur disait : « Allons, mes enfants », et ils partaient, toujours les premiers au feu, toujours les derniers à la retraite. » Le général Chanzy n’exagérait pas et, tombé de ses lèvres sévères, un tel éloge est la plus haute des récompenses.

Les beaux gars du Maine ont été admirables et, lorsqu’ils furent sacrifiés, ils acceptèrent le sacrifice d’un cœur résolu. Au combat de Loigny, sans lâcher d’une semelle, ils reçurent le choc de l’armée allemande, qu’ils arrêtèrent pour donner à nos troupes le temps d’opérer leur retraite. Celui qui les enleva pour courir sus à l’ennemi avait refusé de rentrer aux zouaves pontificaux, dans lesquels il avait servi à Rome. C’était le duc de Luynes ; il avait voulu partir avec les paysans de ses terres, comme autrefois les seigneurs à la tête de leurs vassaux ; il était capitaine adjudant-major dans le bataillon où son frère, le duc de Chaulnes, était lieutenant. Pendant les marches, on chantait Le Vieux Sergent de Béranger :

Pieds nus, sans pain, sourds aux lâches alarmes,
Tous à la gloire allaient du même pas.
Le Rhin lui seul peut retremper nos armes !
Dieu, mes enfants, vous donne un beau trépas !

À Loigny, le duc de Luynes fit un retour offensif et tomba traversé d’une balle ; son frère prit sa place : « En avant ! En avant ! les bons gars ! » Un coup de feu le jeta bas. Là, quatre duchés gisaient côte à côte ; Luynes, Chevreuse, Chaulnes et Picquigny.

Si tous étaient morts ainsi, ils ne seraient pas à plaindre ; « le beau trépas » dont a parlé le chansonnier est enviable ; mais la guerre est moins généreuse qu’on ne le croit, car elle fait mourir bien plus qu’elle ne tue. La balle est mortelle, mais bien plus mortelle encore la maladie, qu’elle soit la