les lattes dans les greniers, on brûle les meubles ; on meurt de froid, comme on meurt de faim ; il n’y a plus de charbon pour fabriquer le gaz ; on fait des perquisitions, afin de découvrir et d’enlever les vivres chez les particuliers ; le vin et l’eau-de-vie sont en abondance ; on en triple la distribution ; la populace ne dessoule plus ; les rues sont des cloaques qui servent de déversoirs aux ivrognes ; l’odeur qui domine est celle du vin et de ce qui s’ensuit.
La mort est installée dans Paris, elle fauche. Toute proportion est rompue sur les tables mortuaires. En août 1870, les décès sont au nombre de 4 942 ; c’est une moyenne normale ; dès le mois d’octobre, le total s’élève à 7 543, pour atteindre 8 238 en novembre.
Mais les grandes misères vont commencer, le froid est venu, les vivres se font rares ; on rationne la viande et le pain ; les forces vitales s’affaissent, et décembre se ferme sur 11 885 décès. Bien des gens meurent, faute de pouvoir persister à vivre ; le découragement, l’anémie font leur œuvre ; les faibles ne peuvent lutter et s’en vont ; les vieillards, les femmes, les petits enfants s’éteignent humblement, sans réclamer, comme s’ils s’offraient d’eux-mêmes en victimes expiatoires au Dieu inconnu qui tient la victoire dans ses mains ; en janvier, 19 233 corbillards ont pris le chemin du cimetière. J’en ai vu jusqu’à trente qui se suivaient à la file indienne, marchant au pas et s’en allant vers le lieu du repos. Les amis des défunts ne s’empressaient guère à les accompagner ; et bien des voitures funèbres n’avaient que les « croque-morts » pour escorte. La mortalité ne cessa point avec la guerre, car les causes prolongent leurs effets. Février marque 16 592 au nécromètre, et il faut attendre jusqu’au mois de juin, pour revenir à des listes régulières.
Versailles était en fête, pendant que Paris mourait entre l’alcoolisme et la famine ; du roi de Prusse, de Guillaume le Victorieux, on allait faire un empereur d’Allemagne, malgré la mauvaise humeur de la Bavière et les restrictions de son souverain, pauvre artiste chevaleresque, qui rappelle les personnages de l’Arioste et que la folie devait noyer dans le lac même où il évoquait les héros des vieilles légendes. Ce fut le 16 janvier 1871, à l’heure où nous allions entamer notre dernier morceau de pain, que tous les princes d’Allemagne posèrent la couronne de Barberousse sur le