Favre ne tarissait pas et disait : « C’est un énergumène ; nous lui devons tous nos malheurs. » Trochu opinait du képi et ajoutait : « Paris a donné à la province cinq mois pour former des armées et venir lui tendre la main par-dessus ses murailles ; si les armées ne sont point arrivées jusqu’à nous, la faute en est à Gambetta, qui n’est qu’un bavard. » Oui, général, un bavard, comme Jules Favre et comme vous. On n’était pas sans redouter quelque mésaventure pour Jules Simon ; car, au milieu de l’effervescence révolutionnaire entretenue à Bordeaux par Gambetta, il restait seul pour représenter ce qui subsistait d’apparence de légalité en France ; on résolut de lui envoyer du renfort et l’on fit partir Garnier-Pagès, Emmanuel Arago et Pelletan, avec injonction de se débarrasser de Gambetta à tout prix.
Les trois mandataires d’un gouvernement de guerre à outrance, que la fortune adverse avait rendu pacifique, arrivèrent à Bordeaux, le lundi 6 février, à sept heures du matin. Ils avaient été choisis avec discernement ; Pelletan, homme de bon sens, sachant l’histoire et résigné à s’incliner devant la nécessité que les événements rendaient inéluctable ; Garnier-Pagès, Emmanuel Arago, deux moulins à paroles, que rien ne faisait taire et qui pouvaient parler deux heures de suite sans perdre haleine. J’imagine que, sous le flux de leurs discours sans intermittence, Gambetta se sentit vaincu et quitta la partie. Jules Simon et ses trois acolytes le chambrèrent et le réduisirent à merci. Gambetta céda ; il n’était point bête, il avait l’oreille fine et avait entendu le haro par lequel la France avait répondu à ses proclamations. Tout en se cramponnant au pouvoir qu’il aimait follement, il comprit qu’une résistance entêtée lui fermait l’avenir.
Il eût volontiers fait un coup d’État, mais il ne voulut pas faire un coup de tête qui pouvait le perdre à toujours ; il se retira, après avoir écrit sa dernière circulaire aux préfets. « Ma conscience me fait un devoir de renoncer à mes fonctions de membre d’un gouvernement avec lequel je ne suis plus en communauté d’idées, ni d’espérance. J’ai l’honneur de vous informer qu’à partir d’aujourd’hui je donne ma démission. » Cette démission repoussait dans le néant Crémieux et Glais-Bizoin ; il n’y avait donc plus en France qu’un gouvernement, celui qui avait escaladé le pouvoir dans la journée du 4 Septembre et qui l’exerçait encore à Paris.