Aller au contenu

Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/299

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

metteur en scène implacable, mais d’une habileté consommée.

On s’attendait à cette démission ; néanmoins, un murmure de surprise, d’émotion — de regret peut-être — parcourut l’assemblée. Le général Changarnier, dont la modestie n’avait jamais eu rien d’excessif, souriait, saluait de la tête ses collègues et prenait l’attitude d’un homme à qui justice est enfin rendue. Il ne voyait personne autre que lui digne d’être chef de l’État et, dans toute la sincérité de son âme, il s’apprêtait à recueillir la succession de celui que, si souvent, en plaisantant, on avait nommé « Adolphe Ier ». Sans ménagement et d’une seule phrase, le député Baragnon le fit retomber dans la réalité : « On s’est arrangé avec le maréchal Mac-Mahon. » Changarnier fit la grimace et se trouva méconnu. On a dit que le maréchal s’était rendu chez M. Thiers et l’avait prié de renoncer à sa résolution, mais qu’il s’était heurté à un refus péremptoire, formulé avec une rudesse qui frisait l’impertinence. Il est possible, en effet, que Thiers, déçu, brutalement abandonné, congédié, ait témoigné quelque maussaderie à son successeur, pour l’intelligence duquel il professait une estime restreinte.

Le terrain était déblayé ; le petit homme qui l’encombrait avait été renvoyé à ce qu’il appelait si naïvement et si prétentieusement « ses chères études ». À la place devenue libre et qu’occupait le fauteuil présidentiel, on allait tenter d’installer un trône pour y faire asseoir le comte de Chambord, que déjà l’on n’appelait plus que : Henri V. Le maréchal, stylé par sa femme, ne demandait pas mieux que de se prêter à une restauration monarchique, mais sous la condition sine qua non qu’elle ne se produirait qu’en vertu d’un vote de l’Assemblée nationale. C’était correct. Depuis le 4 Septembre, la République existait de fait, mais nul décret n’avait légalement déterminé la forme du gouvernement. Il y avait vacance légale ; le droit des mandataires de la nation, resté intact, était d’y pourvoir.

On s’était assuré d’une majorité qui rétablirait la monarchie légitime et lui confierait les destinées de la France, comme en août 1830 on les avait remises au duc d’Orléans, nommé par Charles X lieutenant général du royaume, pendant la minorité de Henri V. On était de bonne foi, je n’en ai jamais douté, et bien des gens honnêtes et désintéressés ont été persuadés, une fois de plus, qu’on allait « fermer l’ère des révolutions ». C’était chose faite ; on y comptait