Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/319

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par Grévy qu’un officier en activité de service ne pouvait paraître aux obsèques d’un prétendant, parce que sa présence ferait croire qu’il est le mandataire de l’armée française. Mac-Mahon ne put donc aller donner une dernière preuve de déférence et peut-être d’affection à l’enfant qu’il avait connu tout petit, qui l’avait accompagné au début de la campagne de 1870 et qui était le fils du souverain, fidèlement servi, auquel il devait son bâton de maréchal de France et son titre de duc de Magenta. Le vieux soldat fut attristé de ce refus et dit : « Je n’avais pas mérité cela. »

La mort du Prince impérial mit le parti bonapartiste en déroute, plus que le parti, car des hommes indifférents à la politique, par tempérament ou par lassitude, furent saisis d’émotion et, faisant un retour sur eux-mêmes, se demandèrent si, eux aussi, n’auraient pas un jour à souffrir de cette fin précoce et inopinée. Depuis l’effondrement de la candidature du comte de Chambord, et en présence de l’abstention systématique du comte de Paris, bien des gens qui n’étaient point impérialistes, mais qui étaient encore moins républicains, s’étaient tournés vers le jeune exilé, dont l’on disait du bien, et en faisaient le point de mire de leurs espérances.

On s’interrogeait sur son compte ; de qui tient-il ? de son père ou de sa mère ? Il était une sorte d’énigme dont l’on s’efforçait de deviner le mot. Quelques bruits couraient qui n’étaient point pour lui nuire : « Il cherche à se soustraire à la domination de l’impératrice Eugénie ; il est tenu trop étroitement, il a des envolées qui effraient son entourage ; il n’est pas le maître, il le devrait être ; s’il l’était, on s’en apercevrait promptement, car il est de caractère aventureux. » On s’en préoccupait, ce qui est déjà beaucoup pour un prétendant. On ne lui témoignait pas de fidélité, nul ne lui en devait ; mais on lui témoignait de la sympathie ; en un mot, on s’y intéressait et c’était justice, car il était intéressant. Je l’ai connu et j’en puis parler.

Au mois de février 1878, je reçus un billet de Franceschini Piétri par lequel j’étais avisé que le Prince impérial désirait causer avec moi et qu’il me priait, si je n’y voyais pas d’inconvénient, d’aller passer quelques jours chez lui à Chislehurst. Je n’avais aucun motif pour ne pas me rendre à l’invitation qui m’était adressée et, en l’acceptant, j’y trouvais tout profit pour ma curiosité. La maison de Camden-Place était une bonne maison de bourgeoisie riche, rien de