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sentées de façon à paraître favorables. Le 14 août, à Borny, le 16, à Mars-la-Tour, le 18, à Gravelotte, le maréchal Bazaine était entré en contact avec les armées allemandes ; les batailles avaient été sanglantes et destructives. Là, comme à Wissembourg, à Forbach, à Wœrth, notre infériorité numérique était inquiétante ; l’ennemi eut toujours une moyenne de 60 000 hommes de plus que nous, et chaque jour des renforts lui arrivaient, tandis que nous n’en pouvions recevoir. À la journée du 16, nous perdîmes environ 17 000 hommes, mais l’armée du prince Frédéric-Charles eut plus de 20 000 morts. Les Allemands battirent en retraite ; l’ordre éventuel de repasser la Moselle leur fut transmis par le chef de l’État-Major général. Le champ de bataille resta en notre possession.

La route de Paris était ouverte ; Bazaine allait sans doute s’y précipiter et hâter sa marche, pour donner la main à Mac-Mahon ; les circonstances l’y conviaient ; les vieux généraux Canrobert, Cissey, Ladmirault, Bourbaki l’y invitaient avec insistance. Le maréchal Bazaine prétendit qu’avant de passer par la trouée qu’il venait de faire au milieu de l’ennemi il devait renouveler ses parcs de munitions épuisés et, au lieu de prononcer son mouvement offensif, il se replia sous Metz ; il y perdit la journée du 17, à un moment où la perte d’une heure était irréparable. Le 18, ce fut la journée de Gravelotte, la plus meurtrière de toutes, mais la journée définitive, celle qui acculait Bazaine sous le canon de la forteresse et l’isolait du reste de la France.

Canrobert et Ladmirault y furent incomparables, mais tournés, écharpés, n’ayant plus ni gargousses, ni cartouches, ils durent, à la nuit tombée, abandonner les positions qu’ils défendaient depuis midi. Notre armée repoussée sortait avec l’honneur sauf de la bataille, car à 230 000 Allemands elle n’avait pu opposer que 145 000 hommes. C’en était fait, la ligne de retraite était fermée, et la route de Paris était désormais coupée à Bazaine. Comprit-il la faute qu’il avait commise le 16, en ne poursuivant pas sa marche coûte que coûte ?

Bazaine, qui, lorsqu’il était général de brigade en Crimée, avait parfois donné, sous Sébastopol, des preuves de nonchalance dont on fut surpris, pouvait être un bon divisionnaire, à la condition d’obéir à un chef ferme jusqu’à la sévé-