Page:Du Camp - Souvenirs d’un demi-siècle, tome 2.djvu/33

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rité, mais il était incapable de commander une armée. Sa stratégie était nulle, son activité plus qu’intermittente, et son intelligence médiocre, quoiqu’il ne manquât ni de finasserie, ni d’esprit d’intrigue. Bien des reproches lui ont été adressés, qui ne me semblent pas mérités. Il fut le bouc émissaire que l’on chargea des péchés d’Israël ; ceux-là qui avaient le plus énergiquement exigé sa nomination de général en chef de l’armée du Rhin, déployèrent contre lui un acharnement sans merci, et je dirai plus tard que sa capitulation mit la joie au cœur de bien des gens dont l’inimitié ne lui laissa point de repos.

Le crime — la bêtise — du maréchal Bazaine fut de ne rien comprendre aux mouvements et aux desseins des Allemands. Il crut qu’on voulait le forcer à évacuer ses positions sous Metz et à abandonner une ville frontière, une ville forte, qui était la clé du territoire ennemi, et il ne s’aperçut pas que l’objectif prussien était de le couper de Paris, et de le mettre dans l’impossibilité de faire sa jonction avec l’armée de Mac-Mahon. C’est pourquoi, voulant se retirer, se poster en bon lieu et disputer à l’Allemagne la route de Paris, où était le dernier mot de la guerre, il revint toujours s’appuyer contre des murailles devant lesquelles il devait bientôt être condamné à l’immobilité, car il y fut investi, ni plus ni moins qu’une place assiégée. L’armée qui, après Gravelotte, l’entoura fut assimilée par Thiers non plus à un mur d’airain, mais à un cercle d’acier. « Oui, messieurs, vous excuserez la hardiesse de cette métaphore, à un cercle d’acier. »

Eh bien ! cette bataille de Gravelotte qui fut de si lamentable conséquence, qui était la première étape que nos pauvres soldats faisaient sur la route des forteresses d’outre-Rhin, fut offerte comme une victoire à la badauderie parisienne. C’est le 19 août, le lendemain même du jour où fut affichée la proclamation du général Trochu, que la nouvelle nous en parvint. On crut à une journée décisive en faveur des armes françaises, et l’on discuta en Conseil des ministres si l’on ferait tirer le canon à l’Hôtel des Invalides et illuminer les édifices publics. Un reste de pudeur ou d’hésitation empêcha cette sottise. Bazaine, qui n’était point en retard quand il s’agissait de se faire valoir, avait télégraphié : « Je leur tuerai tant de monde qu’ils finiront par déguerpir. » Le mot avait été répété, et l’on en avait tiré toute sorte d’inductions que la réalité n’eût point justifiées. Le ministre